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![]() La mode en Roussillon est-elle un phénomène totalement éphémère ou mérite-t-elle une histoire ? Telle est la question soumise aujourd’hui à la sagacité des lecteurs de la Semaine. L’essor de la mode en Roussillon Portrait de Frion Jean Joseph François (1773-1819) La naissance des grands magasins à « bon marché » a lieu dans la foulée, permettant la diffusion des nouveautés. Vers 1840-1850, aux prémices de la crinoline, naissent en effet les premiers grands magasins : d’abord Gervais, important débitant de tissus et d’accessoires rue de la Barre et aussi Bertrand qui a vécu place Rivoli à Paris avant de s’installer place Laborie à Perpignan. Son commerce prélude à la formation du « Grand bazar », futur « Grand bazar et Nouvelles galeries ». Enfin, toujours place Laborie, le magasin Siscal-Siau, à l’enseigne « A la Ville de Paris », voit sa belle architecture rénovée en 1876. La Belle Epoque constitue finalement un moment important de la mode féminine. La silhouette s’affine et au tournant de 1900, la femme élégante présente un profil en S : hanches projetées en arrière, reins cambrés, poitrine pigeonnante. Parallèlement, libérant le mouvement des bras, les tenues sportives, de tennis ou de bicyclette, préfigurent l’émancipation féminine. Ainsi s’effectue le passage de la mode du XIXe s., initialement sélective et élitiste, aux vêtements utilitaires du XXe s.La Roussillonnaise
Mais comment dès lors définir la spécificité roussillonnaise ? En réalité, ce sont les accessoires qui occupent une place essentielle : gants et fourrures, châles et ombrelles forment en effet les éléments constitutifs de la culture vestimentaire des Pyrénées-Orientales. Liée au secteur de la tannerie, le port de la fourrure apparaît comme une constante, même s’il prend en Roussillon une valeur plus symbolique que climatique. Le châle en cachemire domine également la mode locale, activé sous l’Empire par l’introduction de chèvres du Tibet à la bergerie nationale de Perpignan. Ample et coloré, son graphisme raffiné en fait un élément caractéristique du vêtement roussillonnais. Enfin la « coiffe catalane » résulte d’un artisanat spécifique de la dentelle, avant que ne lui soit substituée une production industrielle et plus septentrionale, vers 1845. Quant à la tenue masculine, elle témoigne du contraste entre élégants et gens du peuple portant espadrilles aux pieds, ceinture rouge et « long bonnet rouge », ce malgré une activité chapelière qui se développe à Ille-sur-Tet tout au long du XIXe siècle. Dès 1841, Etienne Arago oppose ainsi bonnet local et chapeau rond, symbole politique de la réaction bourgeoise : « Du sud au nord, un voile de tristesse semble étendu -écrit-il- depuis que chaque front s’est engouffré sous un noir chapeau rond…Comme elle aux jours des glorieuses dates, la liberté naguère nous coiffait de son bonnet aux couleurs écarlates. O mes amis, parlez, qu’avez-vous fait ? ». De même, depuis le XVIIIe s., la chaussure en cuir, fabriquée « à la française » ou « à la catalane », est un signe de distinction sociale. Bottes des gradés militaires, souliers de la noblesse, espadrilles des marins et des armées du Midi expriment généralement la différence sociale jusqu’à la Révolution. Avec l’avènement de la bourgeoise, la chaussure change d’allure : par le port du soulier, le dandy se rallie à la mode, tandis que le pied féminin se conçoit « orné d’une bottine ». Toutefois, encore une fois localement, c’est l’espadrille qui domine, et pour longtemps, lorsqu’on connaît son essor industriel jusqu’au XXe siècle. Ainsi en Roussillon, la mode vestimentaire se traduit par une certaine unité de pensée et par une originalité indéniable de ses composantes.
Des « sixties » à l’enseignement contemporain Ce régionalisme perdure jusqu’à nos jours. Après la Seconde Guerre mondiale en effet, les tenues féminines témoignent de deux grandes tendances : le travail et les loisirs. Signe d’émancipation, les vêtements évoquent la liberté, l’activité professionnelle ou sportive, la réussite sociale tempérée par les nécessités du travail. Les coupes deviennent commodes, adaptées au mouvement, les longueurs sont raccourcies au genou. La mode des « sixties » voit ensuite la suprématie de la jeunesse, à laquelle correspond l’avènement de la mini-jupe et du jeans. Adopté par les garçons et les filles, ce dernier dénote le rejet du vêtement « bourgeois », revendiquant individualité et décontraction. Toutefois, la démocratisation du vêtement passe alors par son uniformisation, elle-même finalement contestée dans les décennies suivantes. Au tournant du XXIe s, l’éclectisme réapparaît, dominé par le succès de la silhouette sportive -survêtement, T-shirt- et par l’importance de la « marque », expression du pouvoir d'achat du consommateur. Dans ce contexte, la mode locale se distingue encore une fois, en faisant le rappel d’une identité et l’appartenance à un espace donné. Ainsi, par le travail du cuir et la conception de marinières sur mesure, la créatrice Raphaëlle Reixach réinvente la mode roussillonnaise en l’adaptant aux besoins contemporains. A Perpignan, la nouvelle marque « Soixantesix » développe pour sa part un état d’esprit particulier lié au département. L’identité contemporaine est, sous son initiative, taillée sur mesure, individualisée, expliquant le succès de l’entreprise et la multiplication de boutiques personnalisées Types de Catalanes Aussi, loin d’être un facteur d’uniformisation, la mode locale et son apprentissage s’avèrent d’abord le fruit d’une longue histoire, inscrite dans un espace de cultures partagées. Phénomène social, alliant frivolité et recherche de l’élégance, mais aussi reflet de l’histoire et de l’imaginaire, la mode en Roussillon se place, en définitive, sous le signe de la distinction. E. PRACA Article paru dans
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