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« L’enfer au paradis »
Histoire et patrimoine
de l’usine de dynamite de Paulilles
1870-1984

Vue du site industriel de Paulilles (Col. Conservatoire du Littoral. Cliché Commission Nationale des Sites, 2004)
En 1998, le Conservatoire de l’Espace littoral et des Rivages lacustres est devenu propriétaire d’un domaine foncier de trente et un hectares situé en bordure de Méditerranée, dans le département des Pyrénées-Orientales. L’acquisition de ces terres de l’anse de Paulilles, située à l’extrême sud de la France dans un cadre privilégié de plages et de caps rocheux, a mis fin à l’incertitude pesant depuis plusieurs années sur la destination du site. Localisée en effet entre Port-Vendres et Banyuls-sur-Mer, dans un environnement paradisiaque et un secteur à fort attrait touristique, l’anse de Paulilles avait fait l’objet, dans les années 1985-1990, de divers projets immobiliers à caractère spéculatif, interrompus toutefois sous l’effet d’une forte résistance locale.
A l’initiative du Conservatoire du Littoral de la région Languedoc-Roussillon, a ensuite été réalisée une vaste étude historique de ce site, sur lequel subsistent les vestiges d’un ensemble industriel d’une particulière importance : au cours de la guerre de 1870, l’anse de Paulilles a en effet servi de cadre à l’implantation de la première usine de dynamite établie en France, dont les activités ont perduré jusqu’à sa fermeture en 1984. Relevant de l’industrie privée des explosifs, initiée en France par Alfred Nobel et son associé Paul Barbe, stimulée en 1875 par la mise en place d’une nouvelle législation favorable, l’histoire générale de l’usine, retracée à grand traits dans cet article, s’inscrit également dans celle du grand capitalisme international. A son importance socio-économique s’ajoute la notoriété de ses administrateurs, à laquelle répond par contraste un fort sentiment d’identité ouvrière.
Cette histoire économique et sociale est indissociable de celle des grandes étapes de l’évolution du site. Intimement lié au processus de production de la dynamite et à la dangerosité des produits, le patrimoine industriel de Paulilles souligne en effet la spécificité de la chaîne opératoire. La panoplie de protection contre les risques d’explosions, enceintes élevées jusqu’aux toits, galeries de circulation, constituent un paysage industriel spectaculaire, dont la lecture appelle déchiffrement. A cet effet, les sources et iconographie utilisées pour cette étude constituent un large panel documentaire issu à la fois des Archives Départementales des Pyrénées-Orientales, des Archives nationales et de diverses archives communales, d’archives privées transmises par Nobel Explosifs France, de rapports et correspondances administratives. Nous remercions ici M. Hueber, ancien P.D.G., les divers organismes et la population du littoral de la Côte Vermeille pour leur participation et leur soutien.
I - L’implantation de l’usine de dynamite de Paulilles (1865-1870)
1. La répartition des fabriques en Europe
Datant de 1870, la création de l’usine de Paulilles illustre en France d’une part la mise en application industrielle de la recherche scientifique et marque d’autre part le passage de la poudre noire, produit minéral, à la nitroglycérine, produit de nature chimique. Cette évolution résulte d'une succession de découvertes faites en matière de procédés de fabrication d'explosifs, ayant eu lieu de manière progressive depuis le milieu du XIXe siècle. Succédant à la découverte de la nitroglycérine, obtenue en 1846-1847 par l'Italien Ascanio Sobrero, elles consistent surtout en perfectionnements apportés de 1863 à 1867 par l'ingénieur suédois Alfred Nobel, à la manipulation et à la consistance de cette matière, à la base de la fabrication de la dynamite.
Se présentant sous une forme liquide, la nitroglycérine se caractérise d’abord par sa violence explosive et par l'absence d'un mode de détonation contrôlé. En 1865, Alfred Nobel met au point le « détonateur breveté Nobel », invention d’une portée technique universelle couronnant une série de brevets remontant à 1863. Dans un second temps, ses tentatives visent à limiter les dangers intrinsèques de la nitroglycérine. Portant cette fois sur la consistance de la matière, ses travaux résident en l'adjonction à ce mélange explosif d'une silice broyée, naturellement poreuse et très absorbante. Modifiant la nature de l'explosif, en faisant passer la nitroglycérine d’un état fluide à un état devenu pâteux, cette découverte majeure, notoirement connue sous le nom de dynamite, fait l'objet d'un brevet d'invention du 20 juin 1866 et d'un additif du 27 juillet 1867. A l’origine de brevets déposés en divers pays d'Europe ainsi qu'aux Etats-Unis, cette invention prélude à la création de l’usine de Paulilles. La fondation de la dynamiterie s’inscrit dès lors dans le cadre d'un processus d'implantation d’usines de dynamite sur l'ensemble du territoire européen.
Dès le début des expérimentations et malgré un nombre élevé d'accidents, dus à la faible maîtrise - à la fois scientifique et manipulatoire - des matières explosives, les objectifs de Nobel tendent en effet à une production industrielle de ses produits. La conquête des marchés nationaux passe ainsi, en divers pays, par l’implantation d’ateliers de fabrication et la création de sociétés commerciales correspondantes. En Suède, les débuts de l'exploitation à grande échelle de la nitroglycérine semblent remonter à 1861, époque où les Nobel père et fils auraient reçu le soutien financier des Péreire. Ce capital aurait été à l'origine de l'atelier expérimental d'Heleneborg, soufflé en 1864 ; dans l'intervalle, la nitroglycérine est employée à Stockholm dans le percement de tunnels et sa fabrication industrielle, amorcée en 1863, connaît une progression constante.
En Europe du Nord, les premières fabriques de dynamite, fondées en 1865 près de Stockholm et de Hambourg (Vintervidken, Suède et Krümmel, Allemagne), sont suivies de celles de Christiana (Norvège), de Zamky, près de Prague en Autriche, de Hanko, près d'Helsinki en Finlande (1865-1870). L’implantation, en 1870, de l’usine française de Paulilles, précède d’autres fondations en Ecosse, Italie, Suisse, Espagne et Portugal (1870-1874). Chronologiquement, sa création s'inscrit donc le cadre d’un essaimage des entreprises Nobel dans divers pays européens, échelonné selon les diverses opportunités locales et les variations de conjoncture.
2. Les conséquences de la guerre de 1870 en France
En France, la fondation d’une dynamiterie par l’industrie privée se heurte dans un premier temps à l’existence du monopole d’Etat sur la fabrication des poudres et explosifs. Instituée en 1775 sous forme d’une régie des poudres et salpêtres, maintenue sous la Révolution française, cette organisation est supprimée en 1793 par la Convention, en raison des besoins croissants en armement lors des guerres républicaines. En 1797, la régie est rétablie sous le Directoire, conférant à nouveau à l'Etat le monopole absolu de la fabrication, de l'exploitation et de la vente de la poudre et autres matières explosives. La loi perdure sous le Second empire et l'implantation d'une usine de dynamite en France demeure dans un premier temps interdite.
La situation se trouve modifiée en 1870, en conséquence directe de la guerre franco-prussienne. Du côté français, les revers militaires, perte de l'Alsace, invasion de la Lorraine, capitulation de l'armée à Sedan, entraînent le 4 septembre la proclamation de la République. A compter du 18 septembre, l'armée prussienne met le siège devant la capitale. Deux personnalités du nouveau gouvernement de Défense nationale jouent dès lors un rôle majeur dans la résistance. A Tours, Léon Gambetta cumule les portefeuilles majeurs de l'Intérieur et de la Guerre ; à Paris, Pierre Frédéric Dorian, puissant maître de forges de la Loire mais également des Pyrénées-Orientales, est devenu ministre des Travaux Publics. Les premières décisions du nouveau gouvernement consistent à mettre fin au monopole d'Etat sur la fabrication et le commerce des armes. Privatisé et budgétisé, le marché de l'armement est régi par une nouvelle commission placée sous le contrôle du ministère des Travaux Publics, c'est-à-dire de P. F. Dorian. Dans ce contexte de crise, le concours scientifique de l'industrie privée est alors sollicité, dans la perspective d’une contribution à l’amélioration de l’armement.
3. L'opportunité d'une industrie d'armement réactualisée
De manière circonstancielle, la fondation de l'usine de Paulilles résulte également du siège de la ville de Toul, en Lorraine. La capitulation honorable de la ville entraîne en effet la mise en liberté des officiers, dont plusieurs rejoignent la résistance. Parmi ceux-ci figure alors François dit Paul Barbe (1836-1890), officier commandant l’artillerie de la garde nationale de la place de Toul. Ingénieur polytechnicien originaire de Nancy, Paul Barbe est en temps de paix associé à son père Jean-Baptiste, maître de forges et propriétaire de hauts fourneaux à Liverdun (Meurthe). Parfaitement informés des vastes perspectives qu'ouvre l’emploi de la dynamite, notamment dans l'industrie minière, les Barbe père et fils sont également en France les premiers associés de Nobel pour l'exploitation de la dynamite (1868). Dès lors acceptée par la commission de « pyrotechnie », la fondation de la fabrique de Paulilles est décidée selon un ordre spécial du 31 octobre 1870, émanant du ministère de l'Intérieur et de la Guerre.
Toujours refusé sous l'Empire, ce projet répond alors à la poursuite de l’effort de guerre. En résumé et indirectement, la création de la dynamiterie résulte de l’échec de Toul et du siège de Paris, confirmant la faiblesse de l’artillerie opposée aux « bombes…amenées d’outre Rhin ». Cette fondation apparaît à la fois comme une réponse à la pénurie et à l’infériorité de l’armement français, et une compensation à l’importation étrangère. Inscrite dans un contexte d’urgence, la fondation de l’usine restitue ainsi à l’industrie de guerre l’opportunité d’une production nationale réactualisée.
Suppléant aux traditionnelles manufactures d’armes, dont de nouveaux ateliers sont ouverts dans le centre et le sud de la France, l’usine de Paulilles est édifiée en bordure de Méditerranée, à l’écart des zones d’occupation et de combats. Placée sous la tutelle du ministère de la guerre, elle se situe à proximité de la commune de Port-Vendres, alors place forte maritime. Sa localisation est aussi liée à des questions de transport des matières, leur circulation étant, dans un premier temps, uniquement autorisée par voie de mer. La dynamiterie relève par ailleurs d’une volonté d’activation de l’industrie minière et métallurgique : organisateur de la défense nationale, F. Dorian est lui-même actionnaire des principales mines et hauts fourneaux des Pyrénées-Orientales. Politiquement enfin, le choix du site illustre l’alliance existant entre le gouvernement républicain et ce département méridional, dont la population se distingue par un vif patriotisme et un attachement précoce au républicanisme.
Financièrement, sur un crédit de 10 millions de francs ouvert en faveur de l’industrie privée de l’armement, une somme de 60 000 francs est destinée, pendant la durée de la guerre, à la fourniture obligatoire et journalière de 500 kilos de dynamite. Le montant en est déposé chez le trésorier-payeur des Pyrénées-Orientales. A compter de 1870, la fabrique de Paulilles, première dynamiterie créée en France, entreprend la fabrication des produits liés aux découvertes de Nobel : nitroglycérine, détonateurs et dynamite. Cette triple production sera maintenue jusqu’au terme de son fonctionnement en 1984.
II – L’essor de l’usine de dynamite de Paulilles (1875-1918)
1. Productions et usages de la dynamite
En 1871 toutefois, au terme de la guerre et de la rapide défaite française, le fonctionnement de l’usine est provisoirement interrompu et son matériel transporté à Avigliana près de Turin, vers une autre dynamiterie appartenant à Nobel. En France, les raisons de cette interruption tiennent au rétablissement du monopole d’Etat par le gouvernement de Thiers et à l’échec des démarches judiciaires entreprises par Barbe et Nobel pour le maintien de leur activité. Après le transfert de leur action sur le terrain politique, et avec l’appui des principaux sidérurgistes français, en 1875 est finalement promulguée une loi fondamentale autorisant l’industrie privée à fabriquer et vendre de la dynamite.
Cette loi marque le véritable essor de Paulilles. De 1875 à 1879, alimentant « presque seule » les chantiers de mines et de travaux publics en France, la dynamiterie expédie un millier de tonnes « dans toutes les directions ». En 1879, le volume commercialisé rejoint celui des plus anciennes unités d’Europe, variant de 500 à 600 tonnes par an. Cette production de dynamite ordinaire est rapidement suivie de celle de dynamite-gomme, intégrant du coton azoté. Expérimentée par Nobel à compter des années 1875, la dynamite-gomme fait l’objet d’une production industrielle en Angleterre à compter de 1876, en Allemagne et à Paulilles à compter de 1879. Produite à la commande, sa diffusion est ensuite généralisée. De 1880 à 1918, le volume global de production de dynamite passe ainsi mensuellement de 45 à 180 tonnes, sans compter les annexes. La commercialisation s’effectue par l’intermédiaire de dépositaires agréés, constitués en réseau sur l’ensemble du territoire français.
2. Impact économique dans les mines et les travaux publics
Destiné à la production civile, l’usage de la dynamite est alors multiforme. Minoritairement préconisée dans le déracinement des arbres et des souches ou comme remède anti-phylloxerique, celle-ci participe au remodelage paysager lors de la reconstitution du vignoble méridional et est accessoirement employée dans la pêche. Son usage est majeur dans les mines et les travaux publics. Localement, la dynamite de Paulilles active l’extraction de minerai de fer, dont l’industrie départementale accède au second rang national, passant de 20 000 tonnes en 1864 à environ 120 000 tonnes en 1884, 253 000 tonnes en 1904, 447 000 tonnes en 1917.
En Méditerranée, la production est également utilisée pour les travaux d’infrastructure, d’hydraulique et d’aménagement portuaire. Participant au développement du réseau ferroviaire, dont l’extension vers l’Espagne par le massif du Canigou débute en 1877, elle est employée du col du Perthus à l’Andorre et l’Ariège et accompagne au début du XXe siècle les travaux du versant français de la chaîne pyrénéenne, notamment le percement de tunnels ferroviaires ou routiers transpyrénéens. Sur la façade maritime, elle est utilisée à la destruction d’épaves dangereuses pour la navigation ou au désenclavement portuaire. Initialement, la « presque totalité » des expéditions se fait par cabotage en direction de Sète, Arles, Beaucaire et Marseille. A compter du décret de février 1876 entérinant la réouverture de Paulilles, la loi autorisant l’industrie privée à fabriquer de la dynamite est étendue à l’Algérie. Bien que la vente en soit limitée aux seules entreprises de travaux publics, exploitants de mines et de carrière, le décret définitif du 17 mai 1876 amorce dès lors un nouveau trafic colonial.
Généralisée dans les mines et travaux publics, la dynamite est également exportée. Dès les années 1880, le marché local des travaux publics s’ouvre vers l’Europe Centrale, la péninsule ibérique, l’Amérique du Sud et le continent africain. Les Pyrénées-Orientales constituent alors un vivier potentiel de personnel lors du creusement du canal de Panama. L’usine de Paulilles, relayée par celle du Vénézuéla, fournit la plus importante livraison de dynamite-gomme au même client : 30 000 tonnes en 1879-1890 puis en 1903-1914. Pour ces périodes, la construction du canal constitue donc l’axe vital du développement de la dynamiterie locale. Cette première phase de développement s’achève en 1914-1918 par une nouvelle production de guerre. Paulilles est alors appelée à des fabrications de balistite, surtout utilisée pour les mortiers de tranchée, à laquelle s’ajoute une production accélérée d’oléum, entrant dans la fabrication d’un grand nombre d’explosifs nitrés.
En définitive, à proximité de Port-Vendres, le site de Paulilles constitue un bassin d’emploi de plusieurs centaines de personnes. Exemple majeur d’industrie port-vendraise de forme concentrée, l’usine se définit comme un élément essentiel de l’économie locale, associée aux activités de transformation alimentaires et viticoles de la région côtière, aux emplois du sanatorium et du laboratoire Arago de Banyuls-sur-Mer, nés de l’émulation entre communes du littoral. Elle contribue à l’extension de la petite propriété en phase de croissance et subvient aux besoins des ménages en temps de crise (1907).
3. Incidences politiques et sociales
Durant cette période, l’administration de Paulilles se caractérise par sa puissance financière. En 1875, la loi favorable à l’industrie privée a entraîné dans son sillage la création d'une S.A. pour l'exploitation du site, intitulée Société Générale pour la Fabrication de la Dynamite au capital de 3 millions de francs. En 1884, celle-ci se rend propriétaire de la dynamiterie d’Ablon (Calvados). Plus largement, la concurrence sur les nouveaux marchés conduit Nobel à une consolidation de son patrimoine et au regroupement de ses participations en deux vastes sociétés mères, l’une anglo-allemande, l’autre dite « latine ». En 1887 est ainsi fondé le « Trust latin » ou Société Centrale des Dynamites, au capital de 16 millions de francs, auquel participe La Société Générale à concurrence de 66% (usines d’Ablon et de Paulilles). Emblématique du capitalisme européen, le « Trust latin » n’a alors d’équivalent que la Standard Oil Co., compagnie pétrolière américaine de John Rockfeller (1882).
Ces sociétés de dynamite sont dominées par des personnalités de la haute finance, intervenant également en politique. Paul Barbe, directeur général de la nouvelle société latine, député de Seine et Oise en 1885, est nommé Ministre de l’Agriculture en 1887. De tendance radicale, son réformisme s’exprime d’abord par la politique sociale pratiquée à Paulilles : liée à la dangerosité intrinsèque des produits, la démarche paternaliste de Nobel et Barbe vise en effet précocement à une fidélisation de la main-d’œuvre. Consistant d’abord en arguments financiers, elle se traduit par la distribution de primes incitatives dont le destinataire est toutefois laissé au choix de l’entreprise. Jusqu’en 1898, l’entreprise règle les accidents du travail par des indemnités ou compensations en nature. A cette date, la loi obligeant le patronat à garantir les travailleurs contre ce risque spécifique, le relais est alors pris par les assurances privées. Dans l’intervalle, au milieu des années 1880, est créée une mutuelle patronale en cas de maladie. Cette politique est complétée par la formation d’un patrimoine immobilier à vocation sociale : à Paulilles sont implantés des logements et jardins ouvriers, de direction et d’encadrement, puis une école. En résumé, initialement composé de militaires formés à la fabrication de la dynamite et d’une poignée de Suédois, le personnel est recruté à compter de 1875 parmi la population locale. La main-d’œuvre féminine en particulier est employée aux cartoucheries. En raison d’un relatif confort financier lié à la gratuité des charges, plusieurs générations issues de mêmes familles se succèdent alors à Paulilles.
Toutefois, bien que l’usine apparaisse comme un laboratoire social caractérisé par la présence d’actionnaires tels Albert Le Play, fils du promoteur des enquêtes systématiques sur la classe ouvrière, la politique en matière de sécurité, d’action sanitaire et sociale, demeure largement soumise au secteur patronal et assurantiel. Aucune place n’y est accordée à l’initiative ouvrière, hormis celle de sa responsabilité. Or les risques pyrotechniques croissants liés au développement de l’entreprise contribuent à y forger une véritable et spécifique identité ouvrière. Au premier rang de ces risques figure l’explosivité, bien que certaines explosions invalidantes, touchant les yeux, les mains et le visage, ne soient pas mortelles. Mais à minima, les explosions de 1882, 1887, 1906 et 1918 sont mortelles. Cette identité ouvrière s’exprime dès lors par la voix du syndicalisme, dans un contexte lié à l’explosion mortelle du 2 septembre 1918. Créé durant la guerre, le « syndicat général des ouvriers et ouvrières de l’usine de Paulilles » se déclare d’obédience nettement cégétiste. Témoignant des risques encourus et rédigés quelques jours après l’explosion mortelle, ses statuts rappellent en outre les droits ouvriers en matière d’accidents du travail.
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