L’hélice vigneronne

« Ce gastéropode, que tout le monde connaît, est commun dans les vignes du Midi, où on en fait une grande consommation comme aliment », indique en 1880 un répertoire de pharmacie pratique. Hélix en grec, hélice vigneronne en Midi méditerranéen, escargot en français, « limaçon » en précieux langage parisien. Mais l’attachement des Catalans pour le cargol est-il seulement alimentaire ? Longtemps, l’animal s’est vu attribuer des propriétés thérapeutiques.

La fille à l’escargot, sculpture de Gabriel Faraill, dessin par A. Vigo (détail).
Cette œuvre d’un sculpteur local a été présentée à l’Exposition universelle de 1878. 

Pectoral et fortifiant

L’usage de l’escargot est variable selon les régions. Sur la façade atlantique, l’escargot de mer est utilisé comme succédané de l’huile de foie de morue. Soigneusement séché et pilé, réduit en fine poudre, il est conservé en flacons bien bouchés : il sert alors de fortifiant. Pour sa part, le Languedoc-Roussillon utilise l’escargot comme pectoral, et demeure longtemps fidèle à cet usage. En 1880 encore, un médecin de Montpellier écrit : « Depuis cinquante ans que j’exerce la médecine, je n’ai pas trouvé de remède plus efficace que l’escargot contre les maladies de poitrine ».

De fait, dès 1863, un médecin thermal d’Amélie-les-Bains cite l’escargot comme adjuvant à l’emploi des eaux sulfureuses. Quatre grands principes guident son action : une alimentation saine et équilibrée, des pilules de bicarbonate de soude, du sirop dépuratif végétal préparé avec les extraits des principales crucifères pyrénéennes. Le quatrième principe consiste en « l’emploi d’un apozème antipyrétique et pectoral, composé de deux gros de quinquina, de quelques escargots, d’une datte et d’une pincée de cresson de fontaine… ». L’apozème, terme spécifique, désigne alors une variante entre la tisane et la décoction.

Dans leur ensemble, au XIXe siècle, les préparations héliacées se présentent en effet sous forme de bouillon, de pâte de la consistance du miel, de sirop ou de pastille, et contrairement à une idée reçue, doivent être agréables au goût. Les formules à base d’escargot sont alors soigneusement conçues afin de ménager les malades qui n’apprécient pas l’animal lui-même. Ces préparations sont généralement sucrées. Ainsi, l’une d’elles consiste en un mélange de « pulpe de limaçon » séchée et réduite en poudre, de sucre et de gomme. «  Aromatiser au citron », précise la recette. Les pastilles de limaçons sont pour leur part délicatement parfumées à la fleur d’oranger et, parmi les crèmes « nutritives et agréables au goût », figure la crème pectorale, à base de beurre de cacao, de sucre, de sirop de limaçons et de violette.

L’escargot, trophée humoristique de compétition sportive (col. G. Rajau, cliché Mme Parpiel).

Crème pour le teint

Au XIXe siècle, l’usage de l’escargot est également externe. Il est par exemple utilisé dans les masques de beauté. Ainsi en 1880, la Pommade à la sultane est une onctueuse crème composée d’huile d’amandes douces, de cire blanche, de blanc de baleine et de « Baume de La Mecque ». Parfois pourtant, cette merveilleuse crème pour le teint porte encore le nom de pommade de limaçons : l’expression rappelle que, par le passé, elle avait pour base les sécrétions de ce gastéropode, que plus tard l’on déterminera comme soufrées. En résumé, il faut bien l’avouer, les vertus pharmaceutiques de l’escargot résident d’abord dans ses abondantes sécrétions avant que l’intérêt ne se porte sur la chair de l’animal.

Néanmoins, toutes les compositions ne sont pas équivalentes. En mélange avec la corne de cerf, le gastéropode entre en effet subrepticement dans la composition du lait d’ânesse artificiel, préparation frelatée à base d’eau, d’orge perlé et de sirop. Son prestige est alors passablement écorné. D’ailleurs, pour certains, ses vertus médicinales sont contestées : l’absence de guérison de forçats malades, sur lesquels on expérimente des traitements à l’escargot, réduit dès lors son rôle à celui de banal complément alimentaire.

Dès le siècle des Lumières, le blanc de baleine jouit au contraire d’un parrainage prestigieux. Cette « matière grasse et onctueuse », tirée de la tête de cétacé, est, selon l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, « un très bon expectorant ». Son usage est également externe: « L’emplâtre de blanc de baleine, dans lequel entre la gomme ammoniaque dissoute dans du vinaigre, est un bon remède pour les mamelles des femmes qui ne peuvent ou ne veulent pas allaiter leurs enfants ; il dissipe le lait, apaise les douleurs qui en proviennent », expliquent les philosophes. Voilà donc un premier domaine d’où, sans conteste, l’escargot est écarté.
L’escargot, symbole de résistance culturelle :
logo de la maison d’édition Trabucaire à Perpignan.

La résistance à l’Atlantique

A terme, l’animal est d’ailleurs totalement évincé : les grandes chasses à la baleine fournissent désormais aux ports de l’Atlantique une masse considérable de matière première, brisant sans état d’âme le sort du malheureux gastéropode. Devenu onguent dans l’industrie pharmaceutique, le blanc de baleine s’étale avec éclat dans les pommades cosmétiques, confirmant sa volonté de monopole « contre les gerçures du visage, des mains et des mamelles ». Dès lors, quel rôle reste-t-il à l’escargot ? Déchu de son rang thérapeutique, l’animal, d’historique mémoire, imprime néanmoins sa trace dans l’imaginaire, pour accéder enfin, suprême transposition, au rang de symbole culturel.

Mise en scène folklorique autour d’un plat consensuel, la cargolade (C. P., Editions Dino, Cabestany).

Déferlant d’ouest en est, la vague baleinière balaye en effet le territoire national. Elle échoue toutefois sur deux îlots : la Bourgogne et les Pyrénées-Orientales. Dans cette lutte d’influence, la résistance s’organise et s’inscrit durablement dans les mentalités. Des symboles forts font leur apparition : la grande industrie salinière prend pour symbole la baleine ; le principal éditeur des Pyrénées-Orientales adopte l’escargot. Ainsi transposées dans le champ du mental et de l’imaginaire, subsistent sur le long terme les traces d’une confrontation historique.

En définitive et comme l’atteste son histoire, l’usage de l’escargot relève donc d’une tradition bien ancrée. La baleine remplace ensuite l’escargot dans la production nationale. La morue également, sans pour autant – il faut le constater – améliorer la mémoire : en effet, qui se souvient encore de l’épopée de l’escargot dans la pharmacopée régionale ? Seuls les Catalans conservent un attachement viscéral au cargol. Un fait s’avère dès lors certain : en ce coin de terre méridional et extrêmement méditerranéen, cet attachement inconscient est en réalité une soustraction à l’influence de l’Atlantique.

E. PRACA

Article paru dans
La Semaine du Roussillon
n° 557 du 4 au 10 janvier 2007

Bibliographie sélective

Dr. Pujade J., Album de la station thermo-hyémale du docteur Pujade, Perpignan, 1863, p.53-54.
Dorvault François, L’officine ou répertoire général de pharmacie pratique, 10e édition, Paris, 1880.

 
Recettes en 1880 :
Pastilles de limaçons.

Sacch. de limaçons……500,0
Gomme adragante……….4,0
Eau de fleur d’oranger….45,0
Faites des tablettes de 0,8 chacune.
Equivaut à deux limaçons.
Bouillon pectoral.
Lichen d’Islande…15
Escargots n°6
Cœur de mouton. n°1/2
Mou de veau…..125,0
Faites cuire dans 1500 grammes

d’eau et réduisez d’un tiers.
     
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