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La douche en Roussillon
Y a-t-il une histoire de la douche en Roussillon ? Pour saugrenue qu’elle paraisse, cette question apparaît néanmoins légitime : au début du XXe siècle, les élites ministérielles inaugurent en grande pompe des bains-douches dans l’Hérault, alors que rien de tel ne se produit en Roussillon. Pourquoi ?
Aux origines : l’eau froide et le savon Toute l’affaire résulte d’un constat : sous le climat méditerranéen, le Roussillon est précocement équipé d’établissements de bains, généralement bains de rivière dénommés au XIXe siècle « bains de propreté ». Dans un premier temps, trois de ces établissements sont recensés à Perpignan dont deux au faubourg des Tanneries, près de la Basse. Le premier se situe rue du Jardin Botanique, portant dès 1758 le nom de « Carrer dels Banys de la viuda Sagona ». La transmission de la propriété entre diverses mains, souvent féminines, permet de localiser l’établissement dans l’actuelle rue Joseph Sauvy, ancienne rue des Bains, allant autrefois de la rue du Jardin Botanique à la rue Rempart Villeneuve. Le second se situe dans une ancienne savonnerie. Vers 1760, des savonniers s’installent en effet dans une caserne désaffectée de la rue d’Elne, future rue de la Savonnerie. A cette époque, le Roussillon dispose de tous les éléments pour fabriquer le savon naturel : huile d’olive, salicorne de la Salanque, réputée comme étant « la soude du Roussillon » et talc, qualité de « pierre à savon » extraite par exemple à Mosset. Perpignan jouit alors d’une situation meilleure que Marseille, faisant pour sa part venir la salicorne d’Espagne par voie de mer. Toutefois, la Révolution et la guerre franco-espagnole interrompent ces échanges, et la Provence s’oriente désormais vers la soude chimique et le savon industriel. La savonnerie de Perpignan est pour sa part transformée en établissement de bains, dont la fonction perdure au XIXe siècle. En 1814 enfin, un prêtre, Bernard Mathieu, vend un troisième établissement, situé faubourg des Tanneries. L’acquéreur, un tailleur de pierres, le rétrocède en 1818 à la famille Rousselet. Cette dynastie de négociants, également implantée à Sète, en demeure propriétaire durant plusieurs décennies, d’où le nom d’Etablissement de bains Rousselet. Limité au nord par le rempart Villeneuve, celui-ci jouxte la propriété de la demoiselle Siscal, vers la Basse. En résumé, des entreprises de bains publics existent à Perpignan depuis l’Ancien Régime, et sont alimentés par l’eau de rivière ou de fontaine. Leur expansion se poursuit dans les années 1830 : le meilleur exemple en est l’ouverture de l’établissement de bains de Prades, orné des colonnes du cloître de Saint Michel de Cuxa. Les deux douches des thermes Pujade à Amélie-les-Bains en 1863 (Lithographie Bardou)
![]() En 1834, les bains de Perpignan sont au nombre de quatre: veuve Fages rue Sauvy et Paul Rousselet aux Tanneries ; Carcassonne rue de la Savonnerie et veuve Mayolle impasse des Amandiers. Eloignés du cours de la Basse, ces deux derniers sont les premiers à être perfectionnés. Embelli et amélioré, l’établissement 7 impasse des Amandiers, en face de l’église de la Réal, rouvre ses portes en 1830. Il répond alors à la concurrence faite par celui de la rue de la Savonnerie, devenu propriété du docteur Maurice Carcassonne. De 1827 à 1830, celui-ci est en effet le véritable pionnier des bains et douches à vapeur établis à Perpignan : de fait, le temps est venu des premières douches et du réchauffement de l’eau froide nécessaire aux ablutions. Faute d’être chauffées partout, les douches demeurent toutefois rares et privilégiées en milieu thermal. En 1852 à Vernet-les-Bains, un médecin en explique le fonctionnement: « on donne le nom de douches, à une colonne d’eau qui vient frapper, d’une manière continue, une partie quelconque du corps soumise à son action dans un but thérapeutique… A l’aide de divers ajustages en cuivre et en gomme élastique, on en varie à l’infini la forme et la force ». Il existe des douches chaudes et des douches froides appelées douches jumelles, toutefois l’eau froide reste en usage. On pense en effet soigner certaines maladies, dont l’hystérie, par des bains de surprise appelés douches écossaises « dans lesquels le malade reçoit cette pluie froide d’une manière brusque et inattendue ». Dix ans plus tard, le régime de la Douche Ecossaise ou Russe s’est adouci. A Amélie-les-Bains, l’eau froide tombe directement dans la piscine thermale. On tente ainsi d’en atténuer les effets, en installant le malade dans l’eau tempérée. Par ailleurs, sa température est désormais mitigée, et quoique toujours perturbatrice, la douche écossaise prend le nom de Perturbatrice modifiée.
Bains-douches démocratiques Par la suite, les signes d’hygiène s’amplifient. Propriétaire des bains de la Savonnerie, Carcassonne était également médecin du dépôt de charité, remplaçant le dépôt de mendicité établi au XVIIIe siècle dans un baraquement, au quartier des Tanneries, et « théâtre d’une foule d’incidents », dont une inondation avec noyade. En 1867, une décision ministérielle ordonne à l’hôpital d’accueillir la population du dépôt de charité, marquant la disparition de cette institution. Le conseil municipal acquiert alors l’établissement de bains Carcassonne et la municipalité y inaugure son premier Dispensaire communal, destiné aux populations indigentes. Parallèlement, Rose Siscal, devenue propriétaire et tenancière de l’un des bains des Tanneries, l’a légué à la congrégation des petites sœurs des Pauvres. Cet « établissement de bains d’eau de rivière situé à la ville neuve » est adjugé en 1869 à deux maîtres maçons dont Louis Fontano, futur allié des Bardou, qui conserve seul l’établissement. Intégrés à un quartier en pleine rénovation, les bâtiments sont à nouveau étendus, réparés et remis à neuf dans les années 1880. Fontano y construit un vaste ensemble « de maisons à usage de locations bourgeoises » dans lequel il intègre les bains : la bourgeoisie locale dispose désormais d’un établissement privatif. Reste la classe ouvrière : d’initiative protestante, des bains-douches sont créés rue des Carmes, quartier St Jacques, pour la main d’œuvre assistée, puis transférés dans la cour de la gare, suivant traité signé avec la Cie du Midi. Ils sont détruits en 1982. Dans l’intervalle, en 1922, la construction des bains-douches de St Mathieu a lieu à l’initiative de la municipalité de Perpignan à l’ancien couvent de la Merci. Le modèle des « bains-douches démocratiques » se répand dès lors dans toutes les communes du département. L’entre-deux guerres voit aussi la renaissance de la savonnerie locale, avec la fondation des distilleries coopératives « La Catalane » et « du Haut-Vernet »: on y fabrique cette fois le savon à l’huile de pépins de raisins. Hygiénique et rafraîchissante, la douche a donc une longue histoire en Roussillon. Véritable institution culturelle et sociale, elle n’a pas eu vraiment besoin de brillantes inaugurations.E. PRACA Article paru dans Bibliographie sélective H. Silhol, Notice sur les eaux minérales sulfureuses de Vernet, Montpellier, 1852.
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