Aspects techniques
du haut fourneau de Prades vers 1883


Coupe schématique des hauts fourneaux de Prades et de Ria - Pyr.Or. (E. Praca, 1993, d’après un croquis paru dans Chimie et Industrie. Dix ans d’efforts scientifiques et industriels, 1914-24, p.220)

Hauteur : 11 mètres
Circonférence au sommet : 3,76 m.
Circonférence au ventre : 6,91 m.
Circonférence à la base du creuset : 2,82 m.
Diamètre au sommet : 1,20 m.
Diamètre au ventre : 2,20 m.

Dans les Pyrénées méditerranéennes, le cours de la Tet a généré sur son passage l’implantation de nombreux sites industriels. Sur la longueur de la vallée, une série de hauts fourneaux au bois ont été implantés en diverses localités, dans des espaces géographiques favorables, de dimension suffisante à leur installation et à leur alimentation en eau. Ainsi en est-il du haut fourneau de la ville de Prades, sous-préfecture des Pyrénées-Orientales située à mi-chemin entre plaine et montagne, dans une partie du département précisément dénommée « Conflent ».

L’architecture et les aspects techniques de ce haut fourneau sont attestés par les archives départementales. En 1884 en effet, avait eu lieu la vente de l’usine métallurgique construite dix ans plus tôt par le maître de forges Rémi Jacomy, principal maître de forges dans l’Aude et les Pyrénées-Orientales dans la seconde moitié du XIXe siècle. Au moment de sa mise en vente, fut réalisée une affiche présentant la composition et le contenu de cet établissement. Ce document d’archives, joint à une biblio­graphie technique contemporaine, permet de retracer, à grands traits, le fonctionnement du haut fourneau de Prades entre 1874 et 1884.

Eléments de volumétrie et fonctionnement général

Située au lieudit « Gibraltar », l'usine métallurgique de Prades, d'une contenance de 256 ares en 1884, avait été construite en bordure du canal de la Ville, nommé aussi canal des Ayguals ou de Marquixanes. La propriété était globalement limitée au nord par la rivière de la Têt, au sud par le chemin vicinal de Prades à Eus et le canal d'arrosage dit Rec de Baix, à l'est et à l'ouest par les petites parcelles de divers propriétaires. Lors de sa mise en vente, l'usine, clôturée par une barrière en bois, était composée d'un haut fourneau de 11 mètres de hauteur, construit sur des colonnes en fonte et fonctionnant au bois, d'une salle de coulée, et de deux bâtiments abritant deux souffleries à vapeur, l'une verticale, l'autre horizontale. S'y trouvaient également une petite forge pour les réparations, un bâtiment contenant un bureau et un laboratoire, une réserve à bois et à tuiles surmontée d'un réservoir à eau, deux grandes halles à charbon de bois et deux petits bâtiments annexes.

Eléments de volumétrie

Quelle était l'allure du haut fourneau à cette période? Si l'on se réfère aux données relatives aux hauts fourneaux de la commune de Ria, située non loin de la ville de Prades, une analogie peut immédiatement être établie : le haut fourneau de Prades, comme ceux de Ria, mesurait 11 mètres de hauteur et fonctionnait au charbon de bois. De façon générale, entre 1866 et 1879, la hauteur totale des hauts fourneaux alimentés au charbon de bois variait de 6 à 12 mètres. Elle excédait rarement ce dernier chiffre. Les hauts fourneaux des deux communes se trouvaient donc conformes aux normes de leur catégorie.

La ressemblance, incontestable, entre ces hauts fourneaux, se trouve confirmée par le volume de la production. A Ria, le volume de ces petits hauts fourneaux était de l'ordre de 29 mètres cubes, la production de fonte par appareil étant de 12 à 14 tonnes par jour. A Prades, au meilleur de son temps, le haut fourneau avait pu réaliser, au maximum, « jusqu'à 16 tonnes par jour ». Cette similitude s’explique d’autant mieux que l’on sait que ces hauts fourneaux, de Prades et de Ria, avaient été construits, à quinze années d’intervalle, par le même maître de forges, Rémi Jacomy.

Cette parenté entre hauts fourneaux se retrouvait également dans la conception de leur construction. Au XIXe siècle, malgré des essais de calculs rationnels, celle-ci était « presque entièrement empirique » et reposait d'abord sur l'expérience acquise. L'idée de construire un haut fourneau régulièrement cylindrique avait d’abord été écartée car, en ce cas, les matières premières arrivaient en bas « incomplètement réduites après un court laps de temps ». Par suite, la partie haute, formée du « gueulard, de la cuve et du ventre », était composée d'un ensemble prenant l'allure d'un cône renversé. Le ventre était la partie la plus volumineuse du fourneau. La hauteur de la cuve devait être telle que le gaz sorte du gueulard à une tempéra­ture d'environ 200 degrés.

Ce ventre reposait sur une autre partie en forme de cône comprenant les « étalages, l'ouvrage et le creuset ». Selon la qualité du minerai et du charbon de bois, l'ouvrage était de forme plus ou moins allongée et, selon les mêmes impératifs, les limites de l'angle d'inclinaison des étalages variaient de 40-45 à 70 degrés. Ce mode de construction, respectant le principe d'une construction en tronc de cône, fut appliqué à Prades comme à Ria. A Ria, le haut fourneau avait pour base 0,90 m, une largeur maximale à la jonction des deux cônes de 2,20 m, rétrécie à 1,20 m au sommet.

De plus, on admettait que le diamètre du ventre, partie la plus large de l'appareil, était en général compris entre un tiers et un cinquième de la hauteur totale. Il ne devait jamais être supérieur au double de celui du gueulard. Ces normes avaient également été respectées. Ainsi, par rapport au gueulard (1,20 m), le diamètre du ventre devait être inférieur à 2,40 m. Et si l'on applique le coefficient l/5e à un fourneau de 11m, celui-ci devait avoir au ventre 2,20 m, ce qui était effectivement le cas. Comme pour leur volume général, les proportions des hauts fourneaux obéis­saient donc à l'application de normes de construction issues de la pratique. Elles avaient été respectées à Prades et à Ria, les deux fourneaux étant identiques dans leurs dimen­sions, mode de fonctionnement et production.

La circonférence du haut fourneau de Prades était d'environ 2,82 m à la base du creuset, 6,91 m à la jonction des deux cônes, 3,76 m au sommet, dimensions pouvant être déduites du diamètre. Sa partie interne était chemisée de matériaux réfractaires, en général comme à Prades, de briques. Taillées plus ou moins en forme de « voussoirs d'une voûte » pour composer l'espace annulaire du fourneau, celle-ci étaient de grande dimension afin de limiter le nombre des joints. Le creuset était particulièrement protégé.

En 1872, on distinguait enfin « les hauts fourneaux au bois anciens et les nouveaux construits sur colonnes », celles-ci étant ou non apparentes. A Prades, le corps du fourneau reposait sur des colonnes en fonte, encadrant le creuset et participant à la consolidation de l'ensemble. La fonte, travaillée sous forme de piliers et de colonnes, était en effet le matériau le plus communément employé, après avoir fait l'objet de nombreuses études de résistivité pour évi­ter cassures et courbures. Ainsi existait-il des fourneaux au coke « à colonnades intérieures » en Moselle, « à double colonnades » dans le bassin du Centre, « à cadres colonnes » dans la région du Rhône. La variété pradéenne n'est toutefois pas définie.

Fonctionnement général

Au XIXe siècle, l'ensemble des hauts fourneaux du Conflent, ceux de Villefranche-de- Conflent, Prades ou Ria, travaillaient les minerais de fer du département, extraits des flancs du massif pyrénéen du Canigou. Le haut fourneau de Prades était alimenté par les mines de fer de Taurinya, propriété Jacomy sur environ 36 hectares.

La fonte produite par ces fourneaux se distinguait par sa qualité. Cette notoriété reposait de longue date sur la pureté des minerais locaux et leur richesse en fer. En 1926, J. Seigle, ancien directeur des usines métallurgiques d'Imphy (Nièvre) et Decazeville (Aveyron), considérait ainsi les minerais utilisés par les hauts fourneaux de Ria « comme très purs et assez riches en fer ». Vingt ans plus tard, H. Gaussen, vice-président de la Fédération pyrénéenne d'économie montagnarde, confirmait la qualité des minerais de fer des Pyrénées-Orientales comme étant « la meilleure en France pour la richesse en fer, la présence de manganèse et l'absence de phosphore ».

Les hauts fourneaux de Prades et de Ria, traitaient les minerais de fer au charbon de bois. « Ce combustible, écrivait J. Seigle, n'a pas l'inconvénient, comme le coke, d'amener du soufre : on obtient ainsi des fontes très pures en soufre et en phosphore ». Le chargement en bois et minerai se faisait, en couches alternées, par la partie supérieure du fourneau. Dans l'appareil, la formation de l'alliage peut être schématisée comme suit : dans le haut de la cuve, le minerai se « desséchait » ; plus bas s'en opérait la réduction par l'oxyde de carbone. Dans les étalages, sous l’effet de l’élévation de température, le fer réduit se transformait en fonte. Enfin cette fonte entrait en fusion dans l'ouvrage et de là coulait dans le creuset. Les impuretés ou laitier, d'un poids plus léger, étaient évacuées par un petit orifice supérieur du creuset. La fonte était recueillie au fond du creuset par « le trou de coulée » à l'extérieur du fourneau.

Morphologie du haut fourneau

Système de refroidissement

Les parois des hauts fourneaux étaient traditionnellement « percées d'embrasures garnies d'une tuyère à circulation d'eau qui entoure et protège la base ». A sa base, le fourneau de Prades était muni « d'une rangée de quatre tuyères de rafraîchisse­ment » et « d'un tuyau percé pour mouiller l'ouvrage extérieurement et en augmen­ter la durée ». Ces précautions avaient pour but de prévenir les avaries, résultant des élévations intempestives de température. L'eau, puisée au canal de la Ville, était aspirée et envoyée dans un réservoir en tôle, situé au-dessus du bâtiment abritant « la charge de bois et tuiles », à « 17 mètres de hauteur au-dessus de l'aspiration ». Ce réservoir, d'une capacité de 21 mètres cubes, alimentait ensuite les tuyères de rafraîchissement et le tuyau « pour mouiller l'ouvrage ».

Le système fonctionnait grâce à une « pompe à vapeur, système Loyd, donnant au moins 10 000 litres à l'heure ». Ce système n'apparaît pas dans la gamme de la Grande Encyclopédie (1885-1902), qui cite pourtant 39 modèles, dont l'origine de construction est pour la plupart, anglaise. Peut-être s'agit-il d'une pompe centrifuge, jugée en 1872 « d'un emploi fort avan­tageux pour les élévations relativement faibles », utilisée pour les débits supérieurs à 150 litres, inadaptée aux « puits profonds » mais exigeant « toujours un moteur à vapeur ou hydraulique». Le champ d'application de ce système était en tous les cas très vaste et couvrait la plupart des industries consommant beaucoup d'eau : papeteries, sucreries, industries textiles ou teinturières, « forges et hauts fourneaux ».

Toutefois, pour ramener la description de la pompe à eau de Prades à sa juste mesure, la seconde moitié du XIXe siècle fut la grande période d'alimentation en eau des villes. A Neufchâtel pour ce citer que cet exemple classique, on allait élever 162 000 litres d'eau à l'heure, à 52 mètres de hauteur. La pompe à eau de l’usine métallurgique était donc un modèle modeste, en tous les cas, proportionné au volume de production local.

Appareil de chargement

Le chargement du haut fourneau de Ria, et le balancier actionnant le système cup and cône.
A noter, le travail à la fois masculin et féminin.
(J.P. Bravard, L’Ondaine, vallée du fer, St Etienne, 1981, p.65)

Au sommet du haut fourneau, les charges étaient réceptionnées sur une plate forme ordinairement carrée, de quelques mètres de côté. Elles y étaient roulées et manipulées à bras. Le gueulard était lui-même équipé d'un « appareil de chargement Cup et Cône» : était appelé le Cup une ouverture évasée au centre du gueulard, laissant le passage de la charge et facilitant son déversement. Dans le même temps, au moment de l'admission de la charge, était descendu, à quelque distance du Cup, un cône. En raison de sa surface inclinée, celui-ci permettait l’épandage de la charge vers les parois de la cuve, en suivant sa ligne de pente. Il importait en effet, afin d’éviter les avaries du fourneau, collages ou accrochages des matières, que la charge soit répartie de manière homogène et orientée vers les parois.

Généralement, le cône était descendu suivant l'axe vertical du fourneau au moyen d'un balancier. Aussitôt la charge écoulée, le cône était « vivement remonté », obstruant her­métiquement la surface du Cup. Depuis le premier quart du XIXe siècle, il n'était en effet plus question de laisser le gueulard ouvert comme dans les premiers types de fourneaux. On évitait ainsi la déperdition des gaz produits par la combustion des minerais et du charbon de bois.

Equipements annexes

Récupérateur de chaleur

De manière générale, les gaz dégagés par le haut fourneau étaient utilisés soit pour injecter de l’air chaud dans la partie basse des fourneaux, soit pour l'usage d'une machine à vapeur, soit pour les deux usages à la fois. Dans les deux cas, ils économisaient du combustible, celui du fourneau ou celui de la machine à vapeur. On s'était préoccupé de cette utilisation des gaz dès 1828 et dans les années qui suivirent - l'innovation étant due à l'Ecossais Neilson - avant que celle-ci ne se répande surtout à partir de 1914. A Prades, la mention d’une « prise de gaz » atteste de cette récupération : s’élevant à une température d'environ 200-250 degrés, ils étaient recueillis dans un conduit latéral de la partie supérieure du gueulard.

Chronologiquement, le premier objet de leur récupération fut de chauffer de l'air injecté au bas du fourneau. L’air était au préalable réchauffé par ces gaz dans un appareil extérieur, construit en fonte. Ainsi Prades disposait d’un « excellent appareil à air chaud, système à pistolet, tuyaux droits » et « d’une conduite à vent chaud et froid en fonte et tôle, muni d’un régulateur en tôle de plus de 30 m3 ». Ce type d’appareil était composé d’une série de « tuyaux droits » c’est-à-dire verticaux, implantés à leur base dans deux caisses horizontales, l’une recevant de l’air froid, l’autre servant de réceptacle à l’air réchauffé dans des tuyaux. Circulant lentement en contact prolongé avec la fonte, les gaz transmettaient leur chaleur à l’air extérieur qui suivait ensuite le même circuit. La multiplication du nombre de tuyaux, formant un dédale allongeant le circuit, était volontaire : elle augmentait la surface de chauffe de l’appareil. La consommation d'air, qui pourrait être calculée par un technicien minutieux, dépendait du volume du ventre de l'appareil.

Exemple de récupérateur de chaleur (La Grande Encyclopédie, tome 1, p.1022, Médiathèque de Perpignan)

Souffleries

L'air chaud ainsi produit était ensuite « soufflé à trois tuyères » c’est-à-dire injecté par trois conduits placés à la base du haut fourneau, situés plus précisément sous la rangée des tuyères de refroidissement. Le terme de « porte-vent » ou « tuyère de porte-vent » figurant sur l'affiche de l'usine de Prades est synonyme de celui de tuyère, « ouverture par laquelle l'air est introduit dans le fourneau ».

Cet air était propulsé dans le haut fourneau par des « machines soufflantes », dont la Grande Encyclopédie note qu'elles pouvaient être « de diverses formes ». A Prades, l'usine disposait « d'une soufflerie verticale et d'une soufflerie horizon­tale » installées dans deux bâtiments « en maçonnerie, bois et tuiles », la plus importante étant la soufflerie horizontale. En raison du risque d'avaries, on recherchait des éléments de machines aux bâtis simples, d'un entretien aisé ; en tout état de cause, facilement réparables. Ainsi, ces machines soufflantes étaient « de grandes machines à piston, simples et efficaces ». Un mouvement alternatif donné par le piston situé dans un cylindre fermé en fonte, aspirait l'air et le refoulait tour à tour par les deux extrémi­tés.

La pression dans la soufflerie dépendait quant à elle de la nature du combustible, réparti en « charbon léger de bois de sapin, charbon de bois résineux, charbon de bois dur ». A Prades, la provision de bois, dont les appareils dévoraient de fortes quanti­tés, provenait encore des forêts voisines. Au seul territoire de la commune de Mosset, R. Jacomy possédait 1 851 hectares de « pacages, bois, forêts de pins, sapins et hêtres...» propices à l'usage de ces hauts fourneaux.

Machine à vapeur des souffleries

Les souffleries pouvaient à leur tour être mises en mouvement soit par des roues hydrau­liques, comme dans les anciennes forges catalanes, soit par des machines à vapeur. Dès 1872, Pierre Larousse n'avait plus besoin de justifier l'usage de la machine à vapeur pour activer les machines soufflantes : « on préfère aujourd'hui la vapeur, écrivait-il, pour les raisons générales qui font substituer partout ce moteur à tous les autres ». Dans le cas pradéen, leur fonctionnement était assuré par « une machine à vapeur menant un cylindre soufflant à clopet ». Un régulateur était fixé sur la conduite d'air chaud, produisant un courant d'air régulier « si recherché pour une soufflerie ».

A ces dispositifs initiaux s'ajoutait une « détente variable » modifiant l'effort du piston, en fonction des varia­tions de puissance, résistance et vitesse que pouvait subir le moteur. Cette précision dans le texte attestait de l’intégration d’une série de nouveaux perfectionnements techniques, fortement appréciés par l’industrie. Ainsi avaient successivement été réali­sées des détentes fixes, des détentes variables « à coulisse » puis « par distributeurs séparés et à déclic », introduites en Europe vers 1870. Ces der­nières fondaient alors le « type de la machine moderne ». Si l’on ignore le modèle de l’élément pradéen, l'emploi de ces mécanismes était toutefois motivé par l'économie de combustible ainsi réalisée.

D'autre part, la machine à vapeur « soufflait à 18 centimètres de pression de mercure ». De façon générale, les colonnes de mercure faisant équilibre aux pres­sions de l'air dans les tuyaux mesuraient de 13 à 19 centimètres, au maximum de 22 à 23 centimètres. La pression exercée par la machine était donc raisonnable, en tous les cas, proportionnelle à la dimension du haut fourneau.

Unité de puissance des machines à vapeur, le cheval-vapeur était également mentionné dans l'affiche de vente. Il correspondait à « une force capable d'élever, en une seconde, un poids de 75 kilos sur une hauteur de un mètre » : celle-ci équivalait à 75 kilogrammètres, unité de mesure ensuite remplacée par le Watt. La machine de Prades avait une force de « 40 chevaux », soit 3 000 kilogrammètres mais, curieusement, les vendeurs estimaient qu’un projet de turbine de 40 chevaux développerait une force motrice hydraulique de 4 200 kilogrammètres, c'est-à-dire supérieure au calcul ordinaire.

Dans les deux cas cependant, selon une formule imagée, cette force était un peu inférieure au « travail horaire d'un manœuvre élevant des matériaux avec une brouette, montant une pente douce au 1/12e et revenant à vide ». Elle était au total capable d'actionner les deux souffleries annexées au fourneau et subsidiairement, d'animer une petite pompe à piston et, par une trans­mission, « un tour et une machine à percer » qui desservaient probablement la « petite forge pour réparations ».

Chaudières

Les organes de la machine à vapeur - alors lourde mécanique - ne sont pas mentionnés. Par contre, la sensibilité des vendeurs aux mutations engendrées par la vapeur était clairement exprimée. L'affiche reprenait le terme à cinq reprises : « soufflerie à vapeur... machine à vapeur... chaudière à vapeur... pompe à vapeur et pompe à piston mue par la vapeur ». La machine à vapeur et les chaudières constituaient en définitive le nouveau credo de la production industrielle et cette redondance du vocabulaire servait à amplifier le message commercial.

La répartition des chaudières, au nombre de trois, n'est pas précisée. Elles assuraient toutefois le débit de la machine à vapeur et celui de la pompe à eau décrite précédemment. En général, leur construction en « forte tôle et fers spéciaux » était un gage de leur résistance. L'affiche de vente de Prades, à l’instar des encyclopédies de l'époque, insiste par ailleurs sur la sécurité imposée aux appareils. Les chaudières de Prades étaient vendues « munies de leurs appareils de sécurité ». Au minimum, ceux-ci étaient composés d'un indicateur de niveau d'eau, d'un manomètre et de deux soupapes de sûreté. On y adjoignait un trou d'homme destiné à faciliter le curage des dépôts qui s'y incrustaient. En définitive, la machine à vapeur de l’usine était jugée « très robuste » et fonctionnant « parfaitement ». On avait fait avec elle « jusqu'à 16 tonnes de fonte par jour », soit environ deux tonnes de plus que la moyenne.

Conclusion : une industrie métallurgique fine

En résumé, le haut fourneau de Prades, comme ceux de Ria, avait une hauteur de 11 mètres et fonctionnait au charbon de bois. Sa hauteur l'apparentait à une même catégorie de fourneaux d'une dimension variant de 6 à 12 mètres, localisés ailleurs en France. Leur production avoisinait 12-14 tonnes de fonte par jour, voire exceptionnel­lement 16 tonnes comme ce fut le cas à Prades. Localement, cette production était favorisée par la présence d'un couvert forestier et de minerais de fer particulièrement purs. Pour parfaire cette production et s'adapter aux mutations de son temps, le haut fourneau était muni d'un récupérateur de gaz, servant à réchauffer l'air injecté dans le lit de fusion de l'appareil. Cet air était insufflé par deux machines soufflantes, elles-mêmes animées par une machine à vapeur d'une force de 40 chevaux installée en bordure du canal de la ville.

Des normes de volumétrie couramment admises avaient présidé, à Prades comme à Ria, à la construction de ce fourneau. Annexés au haut fourneau de Prades étaient encore présents un mobilier industriel en fonte et surtout un laboratoire, véritable « centre de progrès » dans le dernier quart du XIXe siècle, destiné à l'analyse du minerai et à la qualité du métal obtenu. L'usine comptait enfin « un pont avec voie ferrée pour le chargement ». Tel quel, le haut fourneau pradéen témoignait des avancées de la Révolution industrielle jusqu'en Conflent.

En 1880 et 1881, le haut fourneau avait fonctionné toute l'année. Au premier trimestre de 1882, il employait 7 personnes. Au même moment, les usines voisines de Codalet en comptaient 8, Villefranche-de-Conflent 12 et Ria, avec 2 fourneaux, 30. La vente de la fonte avait été « facile et assez active ». Mais au second et au troisième trimestre de l'année, le haut fourneau de Prades avait été fermé, comme celui de Codalet « par suite du défaut de vente des fontes ». Au quatrième trimestre étaient à nouveau employées 10 personnes. Il avait été éteint en 1883 et, au premier trimestre 1884, il était « fermé depuis longtemps ».

Cette fermeture coïncidait avec l’évolution générale des techniques dans l’industrie métallurgique. Tandis que les hauts fourneaux au bois mesuraient de 6 à 12 mètres, dans le même temps, les hauts fourneaux au coke atteignaient en effet 12 à 15 mètres, quelquefois plus. Dès 1873, leur rendement moyen était de 95 tonnes de fonte. Entre 1885 et 1902, on ne construisait déjà plus guère de fourneaux au coke d'un volume inférieur à 100 m3 et le type courant approchait plutôt des 200 mètres cubes. De même, la force de 40 chevaux de la machine à vapeur pradéenne, équivalente celle fournie autrefois par les rivières, était « suffisante pour une technique du XVIIIe siècle ». En raison de la promotion du coke, de la cadence des expérimentations et des avancées techniques, le haut fourneau pradéen paraissait rapidement concurrencé, puis distancé par ses homologues du nord et du centre de la France.

Toutefois, ce haut fourneau était spécialisé dans la fabrication de fonte fine, c’est-à-dire dans un type de production distinct de la production « de masse ». En réalité, la fermeture du fourneau de Prades reposait donc sur une autre série de paramètres, paramètres certes économiques mais spécifiques à cette industrie métallurgique fine. Localement, R. Jacomy se trouvait en effet en concurrence avec la société Holtzer, qui avait été son premier associé mais également son principal créancier. Cette société était d’ailleurs devenue propriétaire des hauts fourneaux au bois de Ria qu’il avait créés et expédiait pour affinage, vers ses usines d’Unieux (Loire) « les fontes très pures obtenues avec du charbon de bois dans les petites usines des Landes et des Pyrénées-Orientales ».

C'est à la requête principale de cette société que fut organisée en mai 1883, sur saisie immobilière, la vente des biens de Rémi Jacomy. En septembre de la même année, la Société Métallurgique des Pyrénées-Orientales, qu'il avait créée à Prades en 1876, était mise en liquidation, accusant un passif supérieur à 360 000 francs. De l'usine Gibraltar, mise à prix, les actionnaires espéraient 100 000 francs. L'enchère fut remportée par le baron de Chefdebien, en 1884, pour moins du tiers de la somme et l'ancienne usine métallurgique transformée en usine de produits chimiques, desti­nés à la lutte contre les maladies du vignoble. A Prades désormais, ce nouveau débouché industriel assurait au baron la longévité de ses profits, mieux que la métallurgie ne l'avait fait pour le maître de forges Rémi Jacomy.

Tout n'était cependant pas perdu, du moins dans les mentalités. En 1888, le mili­taire Vicère, géomètre à Cases de Pène, se déclarait inventeur d'une nouvelle voiture fonctionnant par un système « inconnu » qui ne serait ni la force de l'homme ou des animaux de trait, ni « de la vapeur, air comprimé ou électricité ». Mais, par référence au contexte de l'époque, le merveilleux engin devait porter le nom évocateur de « voiture crève-vapeur ».

Enfin, en conclusion de ce tableau technique, il convient certes de constater la raréfaction progressive des hauts fourneaux au bois mais aussi d’insister sur leur persistance : le dernier haut fourneau au bois éteint en France fut en effet celui de la commune de Ria, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Des années 1850 aux années 1950, l’implantation de hauts fourneaux au bois, dont ceux de Ria et de Prades, témoigne donc de l’engagement des Pyrénées-Orientales dans le secteur de la métallurgie fine, cette intégration à un secteur industriel de qualité étant une spécificité historique qu’il convenait de rappeler.


E. PRACA

d’après un article paru
dans Conflent n°184,
adapté fin 2008.

Notes et bibliographie

Cf. E. PRACA, « Aspects techniques du haut fourneau de Prades vers 1883 », Conflent n°184, Prades, juillet-août 1993, p. 52-66.
E. PRACA, Contribution à l’histoire de l’industrie métallurgique dans les Pyrénées-Orientales, 1803-1939, DEA Montpellier III, 1998, sous la direction de Jean SAGNES.
E. PRACA, « Industrie métallurgique et protestantisme : l’exemple des hauts-fourneaux de Ria 1859-1909 » en collaboration avec M. SOUCHE, in : Acteurs, tendances et contestations de l’économie contemporaine en Méditerranée Occidentale (XIXe-XXe siècles), Domitia n°5, Université de Perpignan, octobre 2004, p.73-107.

 

 
 
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