La truffe de Montferrer
Une tradition culturale



Vue du village de Montferrer, Pyrénées-Orientales, dans les années 1960.

Etabli dans le département des Pyrénées-Orientales, le petit village de Montferrer se situe à une distance de quinze kilomètres de la station thermale d’Amélie-les-Bains. Perché à une altitude de 820 mètres, il se distingue par sa position dégagée et constitue un véritable belvédère sur le paysage environnant : « la vue sur le cirque de montagnes qui l’entourent, les échappées lointaines sur la plaine du Vallespir et les régions montagneuses de Reynès et Montalba », rendent son excursion « très intéressante », indique un ancien guide touristique. Occupant environ 2000 ha, le territoire de la commune est également parsemé, à l’instar de nombreux sites pittoresques du département, de gîtes ferrifères, de grottes, de châteaux et de chapelles romanes.

Mais surtout, l’histoire de Montferrer témoigne d’une activité particulière et ancestrale : la récolte de la truffe. « On récolte d'excellentes truffes dans plusieurs endroits de ces montagnes. Celles de Montferrer sont, à cause de leur grosseur, de leur fermeté et de leur parfum exquis, recherchées par les gourmets » confirme encore la Revue agricole en 18421. Le terroir de la commune est en effet très anciennement réputé pour cette culture spécifique et locale, qui se développe effectivement sous le couvert des chênes et châtaigniers tapissant sa montagne. Cette tradition culturale, qui perdure jusqu’à l’époque contemporaine, fait à nouveau l’objet d’une description détaillée dans un Guide d’Amélie-les-Bains et ses environs, paru en 1897.

En cette fin de XIXe siècle, la truffe de Montferrer s’avère un produit lucratif pour les habitants de la commune, même si sa présence est menacée par les coupes forestières, et l’entame des châtaigneraies liée au développement exponentiel de la tonnellerie. Dans le même temps, sa recherche demeure toujours une prérogative que l’habitant réserve à la truie, animal domestique élevé dans « des formes sveltes », idéales pour le parcours en terrain de montagne. Surtout, la prudence villageoise incite encore à préférer cet animal au chien, fidèle compagnon que l’on préserve ainsi des risques de contagion de la rage. Aussi, au-delà de son intégration à un espace limité, la truffe locale se révèle un marqueur de l’équilibre économique, écologique et sanitaire de la région environnante.

Constitutive de l’histoire rurale et sylvicole de la commune, la trufficulture connaît à Montferrer un intérêt durable, lié à la réputation multiséculaire de ce produit local. Comme beaucoup d’autres, le document de 1897 atteste donc de cette production spécifique dont la notoriété éclipse, textes à l’appui, celle des autres provinces françaises. Et le Vallespir, petit pays constitutif des Pyrénées-Orientales où se situe le village, apparaît finalement comme le berceau incontestable d’une truffe d’exception.

Document de 1897
La truffe de Montferrer

« Nous avons gardé pour la bonne bouche une des spécialités de la localité qui nous occupe. Nous avons nommé les truffes, sans rivales, du terroir de Montferrer. Lorsqu'il est question, dans les ouvrages spéciaux, de ce précieux champignon, on ne tarit pas d'éloges sur les produits gourmets provenant du Périgord, du Languedoc, du Quercy ; on cite encore la Provence, voire même le Poi­tou et la Champagne et on oublie le dessus du panier. Rarement on parle de Montferrer qui constitue cependant un crû exceptionnel.

Une personnalité en vue du monde parisien écrivait dernièrement à une personne connue, de lui louer un carré de truffes pour sa propre consommation. C'est tout simple­ment, n'en déplaise à cette quasi-illustration, une naï­veté : c'est que ce tubercule a ses terrains de prédilec­tion. Ne soupçonnant pas son rôle aristocratique, se dou­tant moins qu'il deviendra la perle des festins, ses dé­buts sont modestes et cachés. Elle fuit les sols plantureux pour affectionner les horizons maigres, déshérités, pelés et caillouteux. C'est là que l'industrie truffière fait pous­ser avec grands soins des châtaigniers rachitiques et noueux, des chênes aux brindilles ingrates et rabougries.

La nature donnant la clef mystérieuse pour les arbus­tes qui produisent à l'état naturel, la disparition pro­gressive et fatale de la truffe est la conséquence inévita­ble des coupes opérées dans les terrains privilégiés. Pour la recherche, on utilise la truie dont le flair subtil et dé­licat nécessite à peine un dressage spécial. Une fois fixée sur ses attributions, c'est avec une docilité parfaite qu'elle suit son maître dans les longues et fatigantes pé­régrinations intéressées. Inutile d'ajouter qu'une alimen­tation intelligemment conduite la maintient dans des formes sveltes, facilitant la marche en tous lieux. Le chien se plie aisément à cette odorante besogne, ne serait-ce que pour les agréables impressions ressenties par sa friande muqueuse olfactive. Mais son emploi est très restreint : sa nature errante l'expose aux coups malveil­lants de concurrents aux abois ; la rage, relativement commune dans notre pays, le met dans le cas d'un pénible sacrifice lorsqu'on opère des hécatombes. Aussi, les rares tentatives dans ce genre d'instruction ont été peu en­courageantes par les déboires qu'elles réservent.

La truie cherche la truffe d'instinct et opère en consé­quence pour son propre compte. Dès qu'elle affouille la terre de son groin stylé, le ramasseur doit toujours être en éveil et calmer les ardeurs impatientes de sa compa­gne. A titre d'entraînement, toutefois, il doit autoriser quelques incartades au contrat, en accordant une maigre part du butin. En général, lorsque les tubercules culbu­tent, elle fait aisément l'échange avec une poignée de maïs ou de châtaignes. En dehors de la mémoire locale et de l'expérience acquise, le chercheur professionnel re­connaît à première vue les bons endroits, et c'est à bon escient qu'il y dirige son aide. Un sol pelé, un essaim de grosses mouches dites trufigènes, constituent souvent des indications précises.

L'époque de la Noël correspond au plein de la récolte. Non pas tant à cause de la multiplicité des emplois justi­fiés par la période classique des grosses agapes, mais bien parce que c'est la saison où la truffe acquiert sa pleine maturité, et par conséquent tout son arôme et son parfum pénétrant. Les hivers rigoureux nuisent au suc­cès de la moisson, elles risquent de se geler par des froids intenses. Elles cessent dès lors d'être marchandes. Quel­ques rares industriels font la conserve : après un bros­sage en règle, la truffe est enfermée dans des boîtes en fer blanc soigneusement scellées et soumises au bain-marie. Elles perdent de ce chef leur qualité essentielle, ces délectables principes odorants. Au risque de nous montrer pédant, terminons par la description de ce cham­pignon, si champignon il y a.

La truffe de Montferrer, de couleur noire, est quelque­fois lisse, mais le plus souvent parsemée à sa surface d'une série de verrues d'aspect régulier. Lorsqu'on la coupe, la section montre des lignes blanches en forme de marbrure débouchant au sommet des pyramides. Ce sont des canaux remplis d'air que chasse la simple pres­sion sous l'eau. La teinte devient alors uniforme.

La population de Montferrer est éparse dans les fermes et se livre surtout à l'agriculture ; l'industrie de l'espa­drille y a fait quelques progrès dans ces derniers temps. Les excellentes truffes si justement renommées, consti­tuent un produit lucratif. La nature calcaire du sol permet d'obtenir des rendements considérables de luzerne très estimée. La cuscute, ce terrible parasite de ce plant fourrager y est inconnue. Les principales céréales, sarra­sin, seigle, maïs, haricots, orge, sont cultivées avec suc­cès jusqu'aux plus hautes altitudes. La pomme de terre y est abondante et de parfaite qualité. L'élève du bétail est une précieuse ressource. L'origine très ancienne de cette localité connue jadis sous l'appellation de Sainte Marie de Mollo, a contribué à conserver dans ce milieu, le dia­lecte catalan dans toute sa pureté ».


Transcription E. PRACA
Mise en ligne 11-9-2009


Bibliographie

Texte extrait de : V. de Fontanills, Guide. Amélie-les-Bains et ses environs. Canton d’Arles-sur-Tech, Amélie-les Bains, 1897, p.160-163.

Notes

1 Rouffia, « Procédés de culture et usages locaux de quelques localités des Albéras » in la Revue agricole Janvier-février 1842, cité par la SASL.

 
 
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