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La faune du Roussillon
au siècle des Lumières

« Animaux qui habitent les montagnes », gravure par J.B. Le Bas.
Auteur d’un « Essai historique et militaire de la province du Roussillon », publié à Londres en 1787, le chevalier de la Grave témoigne que, dans le massif du Canigou, « le gibier y est commun, il y a des ours, des loups, des sangliers, des hizards par troupeaux, que l'on tue difficilement, beaucoup de perdrix blanches qui ont un fort beau plumage. Cette montagne est élevée de 1442 toises au dessus du niveau de la mer », écrit-il au début de son ouvrage.
Ce militaire, qui a parcouru la province dans les décennies précédentes, procède en outre à une typologie de la faune locale, dans le goût descriptif et énumératif du siècle des Lumières. Le tableau fournit ainsi un excellent aperçu des espèces peuplant le Roussillon, de l’ours – parfois blanc – qui crée aujourd’hui la surprise, au flamand rose ou au scorpion noir, dont sainte Florentine, patronne de Perpignan, a omis de s’occuper de la piqûre. On y rencontre la tortue, animal cher au cœur des Catalans, la gent ailée allant de l’outarde à la perdrix, bonnes pour les rôtissoires, et la mémoire des chasses difficiles en terrain de montagne.
Il s’agit donc d’un véritable document naturaliste offert au lecteur, dont le texte est à rapprocher des planches gravées éditées au cours de ce siècle. Mais au-delà de cette observation à la fois pittoresque et raisonnée de la faune de plaine et de montagne, il s’agit également d’un bestiaire, confirmant la relation immémoriale établie entre l’homme et l’animal, sa confrontation avec la nature, évoquant les questions fondamentales de nourriture et de domestication, de ruse et de domination, de représentation et d’altérité.
Document
La faune du Roussillon
« II y a dans la montagne, des ours, quelques-uns blancs, semblables à ceux du nord ; le paysan a soin, pour les prendre, de scier à moitié des pommiers bâtards, sur lesquels montent ces animaux ; les arbres venant à se casser, ils tombent dans des précipices où ils se tuent ; on en fait la chasse du coté de Villefranche et du Mont-Louis. Les chasseurs sont quelquefois au nombre de vingt, reviennent souvent après leur avoir fait peur. Le Roussillonnois tire fort bien, mais il jette encore mieux les pierres surtout du côté de Collioure.
Le sanglier, autre animal dangereux, quand il est blessé, pèse dans ce pays-ci jusqu'à quatre quintaux et son poil est rougeâtre. Il y en a beaucoup dans les montagnes qui sont frontières du côté de l'Albert et de Bellegarde, dont le pays est boisé et fourré; la chair en est bonne; la chasse s'en fait rarement; le paysan est trop paresseux pour la faire souvent, y en ayant peu d'aussi pénible ; il aime à chasser dans la plaine.
II y a quelques chasseurs qui rapportent jusqu'à 22 pièces.
Le nombre des loups y est considérable ; les paysans, pour leur tendre des pièges, traînent une charogne sur la neige qui vient aboutir au trou, où il y a une plaine, sur laquelle on la met, et qui est en travers jusqu'au milieu de la fosse, ayant son bout appuyé sur un piquet qui tombe et qui fait tomber le loup dans le piège où il se trouve pris. Le Roussillonnois en fait souvent la chasse.
Le renard est d'une couleur très brune, fort gras, et d'un pied et demi de long : on le prend de même dans des pièges faits en forme de tenailles rondes, ornées d'une gâchette qui prend la queue du renard, lorsqu'il veut saisir le morceau de pain qu'on y met. On a soin de traîner, dans les neiges des environs du piège, une poule ou des fraises de mouton. On prend aussi cet animal en le fumant dans son terrier, et on le tue quand il est forcé de sortir.
Il y a deux espèces de blaireaux, l'un a le museau de sanglier, et l'autre le poil d'un chien, le poil rude, blanc, rougeâtre et noir ; leurs pattes sont très courtes, semblables à celles du sanglier et du chien. Ces animaux sont toujours très gras. Lorsqu'ils sont poursuivis, ils se laissent rouler, comme des boules, du sommet des montagnes jusqu'aux pieds, pour éviter de devenir la proie des chasseurs ; ils se mettent ensuite sur leurs pattes et vont à leur terrier, d'où ils ne sortent guère pendant le jour. La graisse que l'on en tire après les avoir écorchés, mise dans un four, est bonne pour toutes sortes de douleurs, lorsqu'on en frotte la partie affectée.
Le hizard est un animal très léger, dont la tête ressemble à une biche ; il a de très longues oreilles. Le mâle a deux petites cornes noires qui se retroussent un peu sur elles : il pèse jusqu'à près de deux quintaux : son poil est long et brunâtre sur le dos avec une raie noire ayant un duvet grisâtre que le mâle a plus fourré, le poil de dessous le ventre de même que le duvet, les pattes longues et fourchues, ornées d'une corne noire et d'un pied de biche. Ces animaux vont toujours par troupeaux et il en est un au guet, pour avertir quand quelques chasseurs les approchent.
La marte a trois pieds de longueur, compris la queue, qui a au moins un pied et demi ; la tête d'un chat, dont le museau est plus fin et moins camus ; les oreilles très courtes, faites comme celles du chat, le poil du corps noirâtre, et le duvet gris; le poil du ventre blanchâtre, et la queue rayée par des raies blanches et noires. Le mâle est plus gros que la femelle. Il se nourrit de lapins, lièvres, perdrix et rats, de toutes sortes de volailles et oiseaux qu'ils saignent et enterrent avec soin pour les manger quelques temps après. Ils se tiennent dans des corps d'arbres vieux, où ils font leurs petits, et où on les prend. Il faut se garantir de leurs dents, car elles sont cruelles.
La fouine est grosse comme un lièvre, couleur de châtain à petites oreilles, et très petites pattes comme celles du chat, ayant seulement les ongles un peu plus longs. Cet animal est très leste, s'accrochant à tout, se tenant dans les arbres où il prend des rats. Il est meurtrier, surtout pour la volaille et le gibier volant. Il mange des taupes, serpens, etc.
Le puant est un animal semblable à un furet, mais plus gros et plus noirâtre. Le premier poil est long et noir ; le duvet grisâtre et rougeâtre au bout, petites oreilles, les yeux comme le chat, le museau un peu camus. II est long d'un pied et demi et a la queue noire, ayant le poil très long ; ses pattes courtes approchent de celles du chat ; ses ongles longs et fins, se tenant dans les terriers, ne montant pas sur les arbres. Il a la dent mauvaise : on l'appelle puant, parce qu'il pue au point, qu'après l'avoir touché, on ne peut en faire facilement passer l'odeur. Cet animal est destructeur de lapins, lièvres; il les saigne et les enterre comme la marte et la fouine.
La belette est une petite bête rouge et leste, longue d'un pied et mince, de trois pouces de circonférence, le col et le ventre blancs, la queue de quatre pouces et rougeâtre, la patte fine faite comme celle du chat, les yeux petits, les oreilles courtes, et une moustache au-dessus de la gueule, dont le poil est plus noir que celui de son corps, ayant la morsure mauvaise, étant destructeur de rats et des poules qu'elle saigne seulement; quand elle est prise jeune, et qu'elle est gardée dans la maison, elle peut servir de chats.
Il y a deux espèces d'écureuils : une rouge et une noire ; ayant le poil long, une queue fournie qui leur sert pour se garantir les oreilles quand il pleut. Ils sont bons à manger.
La loutre est un animal dont le poil est marron, a les pattes très courtes, de trois pieds de long; il se tient dans l'eau pour chercher sa nourriture, qu'il va manger sur l'herbe, ne pouvant pas rester long temps dans cet élément ; la tête un peu camuse, très platte ainsi que ses oreilles ; la barbe brune, les yeux plus petits que ceux du chat ; on le mange en guise de poisson.
Le chat sauvage est un animal de quatre couleurs, gris, brun, blanc et noirâtre ; le ventre gris, semblable au chat domestique ; la queue longue de plus d'un pied, rayée de gris, blanche et noirâtre ; méchant; on le prend avec des lacets de fil de laiton, ou dans des quatre de chiffre ; il grimpe sur les arbres, et se tient dans les broussailles ; il mange de tout.
Il y a deux sortes de rats, qui sont, celui que tout le monde connoît sous le nom de rat d'eau ; et la mirare, ou rat dormant, qui est de trois couleurs, qui a le dessus du dos gris, la moustache noire et blanche, le col et le ventre blancs, la queue platte et le poil long et gris.
Il y a trois espèces de serpens ; le noir et gris pèse jusqu'à neuf ou dix livres, il est long de six pieds ; un autre gris et blanchâtre, qui a la tête platte et est plus mauvais que le premier, de la même longueur et grosseur. Il siffle et s'élève sur une personne ; il tette les brebis et a beaucoup de venin. Si on a le malheur d'avoir le corps cerné par cet animal, on ne peut échapper d'être étouffé. Le troisième, d'un pied et demi, racourcit sa queue; il a le ventre gris et le dos couleur de marron. On ne connoît point de vipère.
Le lézard est semblable à celui que nous connoissons, excepté qu'il y en a un dont la queue est fourchue.
La blande est un animal qui a les pattes pareilles à celles d'un lézard, couleur jaune, verte et grise sous le ventre, dont la queue est rousse, et a trois pouces de large sur un pied de long, la tête de lézard. On dit que cet animal va l'été boire aux eaux fraîches, et que l'on risque d'être empoisonné si l'on boit après lui.
Il y a deux espèces de scorpions, savoir : le gris et le noir ; s'il vient dans des ruines, il est grisâtre. Celui-ci est moins venimeux. Des gens du pays prétendent que c'est sainte Florentine, une des patrones de Perpignan, qui leur a ôté le pouvoir de faire le mal; mais les scorpions noirs, qui viennent dans les boiseries, dont cette sainte ne s'est pas occupée, sont plus méchans et tuent ceux qu'ils piquent, si l'on n'y porte du remède.
Il y a trois espèces de tortues ; celles de la garrigue, celles des marais, et celles de mer ; la première est grise, queue courte, quatre pattes, le col long et maigre, la tête platte, la gueule grande comme celle d'un grand lézard. Elle fait ses œufs dans les broussailles, et ils viennent à l'ardeur du soleil. Elle mange des escargots, des insectes et des laitues. La seconde est plus ronde que la première, plus noire et plus jaune. La troisième a quatre spatules qui lui servent de nageoires, la chair et la coquille grises, tête plate et grosse ; elle s'attache au bois quand on la chagrine ; la morsure en est dangereuse sans être venimeuse, elle pèse jusqu'à soixante livres, et se tient dans la mer. Il en est qui ont des coquilles prodigieuses.
Le faisan a les plumes noires, la tête d'une poule d'inde, les yeux bordés de velour rouge, le bec pointu, les pattes de dinde, le dessus du ventre un peu grisâtre ; on les tue à la lumière.
La gélinotte est un second faisan, connu dans le pays pour la femelle, dont le plumage est gris, jaune, noir et blanc, le bec d'une poule, l'estomac fourni et un peu blanchâtre.
L'outarde est un oiseau doré, ayant des taches noires sur les plumes, qui sont jaunes, blanches, noires et grifes ; il est gros et fait comme un dinde ; c'est un très bon manger.
Le pluvier doré est de la même couleur que l'outarde, gros comme un pigeon, ayant le bec de même, excellent manger et des plus délicats, se tenant partout gris, ayant quelques taches noires. Cet oiseau est moins délicat, ainsi que celui doré, il va par bande de cent cinquante.
Le vano est appellé le troisième pluvier ; ses ailes sont noires et blanches, l'estomac blanc, ayant au-dessus d'une queue noire et blanche, des plumes rougeâtres, le bec comme un pigeon se tenant dans les terreins aquatiques.
Il y a des bécasses noires et grises, bonnes à manger. Elles se tiennent dans les marais; elles passent depuis le mois de novembre jusqu'à pâques; il y a trois sortes de bécassines, qui sont, la véritable, qui est un peu noirâtre et grise, le ventre noir entre le blanc et gris, le bec extrêmement long ; la seconde, qu'on appelle le sourd ou bécasson est plus petite que la première, a le bec fort long ; elle est plus délicate. On passeroit presque sur elle sans qu'elle se levât; sa plume est plus noirâtre sur le dos et plus grise sur le ventre. Enfin la troisième, appellée mek, est plus grosse que la première, plus grise, et faite de même que la seconde ; son passage est dans le mois de mai.
Il y a trois espèces différentes de rats d'eau, appellés en Catalan rasclets ; la première est la véritable, qui se tient toujours dans les marais et même dans l'eau. Il y a de même trois espèces de poules d'eau, dont la macreuse est la plus grosse.
Les oiseaux d'eau sont en grand nombre, on trouve beaucoup de canards et d'oies sauvages. Les premiers sont une espèce qu'on appelle buids, dont les pattes sont noires, le col noirâtre, devenant gris sur le dos, la tête plus fournie, ayant dessus une couronne jaune. Sa femelle est grise et brune, il y en a encore de trois autres espèces, qu'on appelle cuillères, parce qu'elles ont le bec large comme une cuillère ; leurs pattes sont jaunes. Il en est un autre, qu'on appelle pioular, parce qu'elle n'a pas le cri d'un canard, et qu'elle semble au contraire pleurer ; elle est aussi grosse que celle appellée cuillère, qui est moindre que le plus fort canard, et elle a le bec long.
On trouve deux espèces de corbeaux et deux de corneilles. La différence qu'il y a entre celles d'eau et celles de terre, c'est parce que les premières sont piquées de taches brunes, que leurs becs sont longs en forme de crochet, et qu'elles sont bonnes à manger.
Il y a quatre espèces d'hirondelles de mer; la première, qui est la plus grosse, a le bec crochu comme une poule. Il y a aussi quatre espèces d'hirondelles de terre, dont la première, qui est la plus grosse, a le col et le ventre blancs, ayant quelques plumes de cette couleur aux aîles.
Le chapon d'eau a le corps gros comme une poule, brun, gris et noirâtre, les aîles très longues, le col fort long, ayant près d'un pied, la tête de la grosseur d'une poule, les yeux bordés de jaune, le bec pointu et très long, ayant les pattes rousses.
Il y a trois espèces de héron, dont le plus gros a près de trois pieds de hauteur, blanc, ayant sur le dos des plumes grises, le bec jaune et extrêmement long, les pattes larges et grises. Ils se tiennent le jour dans les marais et la nuit sur les arbres.
Il n'y a que des cignes sauvages tout blancs, dont une espèce différente a le bec gros et noir, les aîles blanches et rouges, les pattes et le col très-longs.
Il y a deux espèces de sarcelles, qu'on appelle, dans le pays, perdreaux de mer.
Il y a quatre espèces de perdrix, dont une rouge et une dont le corps est blanc, ayant dans les aîles des plumes noires, les pattes fournies comme celles des pigeons pattus. Elle n'est pas aussi bonne que la rouge, et elle se tient sur des arbres ; de plus une différente des autres, ayant le bec plus court, le collet de trois couleurs, jaune, blanc et gris, les plumes du corps jaunes et noirâtres, ayant à la queue deux plumes minces et longues qui passent les autres, faisant la fourche, et de la couleur grise, la patte velue ; cette espèce de perdrix est très bonne à manger ».
Transcription E. Praca
Mise en ligne le 21-12-2009
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