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Nestor de Casamajor
Un administrateur mutualiste
en Languedoc-Roussillon
(1856-1938)

Nestor de Casamajor, secrétaire général du XIe congrès national de la Mutualité Française tenu à Montpellier,
membre du Conseil supérieur de la Mutualité (1913).
Important responsable mutualiste méridional, ingénieur dans le département de l’Hérault, Nestor de Casamajor (1856-1938) a fait l’objet d’une notice biographique parue dans le Dictionnaire de personnalités mutualistes de Jean Bennet en 1987. Il apparaît toutefois possible de compléter la biographie de ce personnage grâce à une monographie familiale parue en 1905, aux sources archivistiques des Pyrénées-Orientales permettant de retracer les débuts de son parcours professionnel et aux archives privées ou publiques de l’Hérault, conservant les fonds ayant servi à la rédaction de l’ouvrage intitulé Histoire de la mutualité de l’Hérault.
Le cadre familial
Né en 1856 à Gallargues-le-Montueux (Gard), Nestor de Casamajor est issu d’une famille noble, longtemps implantée à Ille-sur-Tet, dans les Pyrénées-Orientales. Emigrée en Espagne à la Révolution française puis de retour en France sous le régime napoléonien, cette famille serait alliée par mariages d’une part à la noblesse aquitaine, guyennaise et navarro-béarnaise -de Tresville, de Lur-Saluces etc.- et d’autre part, plus sûrement, à la noblesse catalane : de Selva, de Costa, de Guanter, Dulçat, Companyo, etc. figurant parmi les familles alliées.
A l’instar des pratiques ayant cours au sein de la noblesse roussillonnaise, la lignée de Casamajor compte dans ses rangs des descendants engagés dans l’action catholique et sociale de leur temps. Au XIXe siècle, la lignée se compose en particulier de trois générations : Louis de Casamajor époux d’Ursule de Selva, établis à Ille-sur-Tet ; Jean de Casamajor (+1888), époux de Joséphine Boissier ; enfin Nestor de Casamajor, époux en 1879 de Marie Pujol, établis à Perpignan puis Montpellier.
De Louis puis de Jean de Casamajor peu d’éléments biographiques sont connus, sinon que ce dernier aurait mené une vie très active et de grand voyageur. De son mariage avec Joséphine Boissier sont issus quatre enfants : Louis, Delphine, Nestor et Ursule.
L’aîné de la famille, Louis de Casamajor fut ecclésiastique. Après des études chez les Frères des écoles chrétiennes à Perpignan puis à l’institution St Louis de Gonzague, il fut professeur, fondateur d’une école congréganiste à Salses. Curé de la paroisse du Soler, en Roussillon, il dirige en 1888, selon ses dires, le « grand pèlerinage roussillonnais, de Perpignan et de l’Aude, à Montserrat » en Catalogne, puis obtient en 1897 un poste dans la vaste paroisse de Clignancourt, en région parisienne. Militant et auteur catholique, il a notamment publié « Hétérogénie, darwinisme et transformisme », récompensé en 1887 d’une mention honorable par la Société scientifique, agricole et littéraire des Pyrénées-Orientales, « Les erreurs de l’optimisme scientifique » traduit de l’espagnol, « La vraie science n’est pas en faillite » et en 1908, « La Solution des questions sociales, ou le Décalogue connu et observé (…) », ouvrages qu’il conviendrait de remettre en perspective avec les mouvements de pensée de leur temps.
Les sœurs de Louis et de Nestor de Casamajor font également partie des milieux catholiques franco-espagnols. Delphine « aide par son travail et sa charité » Mgr Ramadié, évêque de Perpignan. Devenue religieuse, fondatrice de plusieurs noviciats en Espagne, elle finit ses jours comme supérieure de l’orphelinat royal Marie-Christine à Aranjuez, où elle décède en juillet 1903. Après avoir été élève à Montpellier, Ursule consacre quant à elle son temps « à la formation et l’éducation des orphelins indigents de Perpignan, puis des enfants des Jardiniers de la ville (côté du Haut-Vernet) », avant de s’occuper de sa mère qui décède à Perpignan en 1914, à l’âge de 92 ans.
Au sein de la fratrie, Nestor de Casamajor apparaît dès lors comme le seul descendant exerçant une activité professionnelle dans un environnement civil. Héritier en 1882 d’une tante fixée à Perpignan, « catholique vaillante, fille économe très discrète », il est entré en 1875 dans l’administration des Ponts et Chaussées dont il franchit les échelons, d’abord dans les Pyrénées-Orientales puis dans le département de l’Hérault. Sa biographie illustre dès lors son engagement mutualiste en Languedoc-Roussillon, et au-delà, l’essor de la mutualité héraultaise et la place prépondérante qu’elle occupe dans l’histoire de la mutualité française.
La bienfaisance dans les Pyrénées-Orientales
Agent secondaire en 1876 puis conducteur des Ponts et Chaussées sur concours passé à Perpignan en 1881, Nestor de Casamajor collabore dans les Pyrénées-Orientales aux études et projets de chemins de fer d’Elne à Céret et de Prades à Olette, puis est affecté au service maritime de ce département. Dans ce cadre, il participe à la construction de la plage artificielle créée entre l’île St Vincent et le port de Collioure, et à l’achèvement de la déviation du cours de l’Agly sur la commune littorale du Barcarès. Appelé ensuite à Perpignan, il y collabore à de nombreux projets, dont celui de la construction du phare électrique du cap Béarn et l’amélioration du port de Port-Vendres.
Devenu chef des bureaux de Parlier, ingénieur en chef du département, il cumule ses fonctions au service maritime des Pyrénées-Orientales avec une affectation au service du contrôle des chemins de fer du Midi (8e arrondissement), à compter de 1888. Ce service comprend alors toutes les lignes situées dans les Pyrénées-Orientales et dans l’Aude jusqu’à Narbonne. D’abord caissier provisoire lors de la liquidation financière de la ligne de Perpignan à Prades, initialement fondée dans le but d’amener le minerai de fer pyrénéen vers la plaine, il devient ensuite chef du service des expropriations de l’ensemble du département des Pyrénées-Orientales.
Dans cette tâche délicate, Nestor de Casamajor se distingue en évitant précisément le recours aux expropriations et en procédant par acquisitions amiables au profit de l’Etat. Ainsi en est-il pour l’établissement de la route nationale n° 118 à Puyvalador, de la route n° 9 au Perthus, des lignes d’Elne à Céret et Arles-sur-Tech, de Prades à Villefranche de Conflent puis à Olette. Au sein du service maritime, de Casamajor intervient également dans la construction du sanatorium de Banyuls-sur-Mer, dont le projet de financement regroupe les principaux industriels du département : Pierre Bardou-Job, fabricant du papier à cigarettes de marque Job, Simon Violet, fabricant de l’apéritif Byrrh, Alfred Nobel et Paul Barbe, promoteurs de la dynamiterie de Paulilles, près de Port-Vendres. Dans le cadre de ce projet, ensuite devenu départemental et d’utilité publique, il procède également à l’acquisition amiable des terrains utiles à l’implantation du bâtiment et de ses dépendances.
A l’œuvre philanthropique de Banyuls-sur-Mer participent alors divers organismes dont le conseil d’hygiène des Pyrénées-Orientales et le bureau de bienfaisance de La Magistère (Tarn et Garonne), ainsi que le Cercle des Ponts et Chaussées dont la fondation à Perpignan et la présidence reviennent à Nestor de Casamajor en 1881. Doté d’une bibliothèque créée à son initiative et destinée à faciliter les études du personnel des travaux publics, ce cercle est subventionné par le conseil général, les ministères des Travaux Publics, de l’Agriculture et du Commerce, de la Justice, de l’Instruction Publique et des Beaux-Arts. En 1887, lors de l’exposition de Toulouse, le consensus qui se dégage autour de la personnalité de Casamajor, se traduit par son accession à la présidence de l’Assemblée régionale des Ponts et Chaussées.
Deux ans plus tard, en 1889, le préfet des Pyrénées-Orientales, Adrien Bonhoure, appuie sa candidature en vue de l’obtention des palmes académiques, en raison du concours que Casamajor apporte sans réserve à l’administration « pour toutes les œuvres qui ont pour but le développement moral, intellectuel et physique de la jeunesse de Perpignan ». Egalement « membre du Conseil de diverses sociétés civiles établies à Perpignan dans un but philanthropique », fondateur et trésorier de la société de gymnastique La Roussillonnaise, adhérent à la Société agricole, scientifique et littéraire des Pyrénées-Orientales, N. de Casamajor bénéficie de l’appui des députés radicaux Edouard Vilar et Emile Brousse. Il est promu officier d’Académie par Léon Bourgeois, ministre de l’Instruction publique, lors du concours régional et de l’importante exposition tenus à Perpignan en 1890.
Mutualité et hygiène sociale dans l’Hérault
Affecté dans le département de l’Hérault, Nestor de Casamajor occupe à Montpellier le poste d’ingénieur, contrôleur principal des comptes des chemins de fer. Il contribue à la fondation de mutuelles locales ou professionnelles telles la Fraternelle prévoyante de Gaillargues en 1887 (n°147) ou en 1894, La Famille Montpelliéraine (n°226), réservée aux familles nombreuses, dont il est président fondateur en sa qualité de père de cinq enfants. Il est également fondateur et président de la commission de contrôle de la mutuelle montpelliéraine La Catalane, président d’honneur de l’Association amicale des contrôleurs des comptes des chemins de fer et de la mutuelle l’Espérance de Montpellier.
Au-delà de cette action en faveur des mutuelles locales, dont le nombre s’accroît sous la IIIe République, de Casamajor prend également part « soit comme vice-président de grandes commissions, soit comme rapporteur général, aux travaux de tous les congrès régionaux, nationaux ou internationaux qui se sont tenus depuis 1892 ». Après les grands congrès internationaux de Turin, Liège, Bruxelles, St-Etienne (1895), « il collabore à l’élaboration de la Loi du 1er avril 1898, dite Charte de la Mutualité » indique un journal.
Congrès mutualiste languedocien, sous la présidence de P. Deschanel, 1900.
Au plan régional, dans le cadre de la mise en application de la loi de 1898, octroyant à la mutualité un véritable statut, il organise en avril 1900 le second Congrès mutualiste languedocien, présidé par Paul Deschanel et dont il est secrétaire général. Ce congrès permet le rapprochement des groupements montpelliérains et biterrois, préludant à la fondation de l’Union départementale des mutuelles de l’Hérault. Le 15 mars 1901 se tient le bureau préparant à la fusion des diverses sociétés, sous la présidence du Montpelliérain Charles Warnery et en présence de Nestor de Casamajor. Charles Warnery devient président et Nestor de Casamajor secrétaire général de cette nouvelle union départementale, approuvée sous le n°345 et fixée à Montpellier, dont la première assemblée générale se tient le 15 décembre 1901.
N. de Casamajor participe alors à la gestion des diverses caisses de prévoyance fondées par cette fédération, figurant « comme l’une des plus anciennes et des plus importantes de France ». Fondateur en 1904 et membre de la commission de contrôle de la Caisse départementale d’assurance au décès (n°407), président de la Caisse départementale de réassurance en cas de longue maladie (n°412), il devient membre de la commission de contrôle et fondateur avec Warnery, de la Caisse de Retraites ouvrières et Paysannes de l’Hérault approuvée le 25-9-1911 (n°603). Cette caisse résulte de la loi de 1910 instituant en France le premier régime obligatoire de retraites ouvrières et paysannes.
Parallèlement, à compter d’octobre 1902, N. de Casamajor est fondateur et rédacteur en chef du bulletin de liaison « Le Mutualiste du Midi », destiné aux 120 mutuelles adhérentes à l’union des sociétés de secours mutuels de l’Hérault, représentant à l’origine plus de 17 000 membres. Il est également membre titulaire, assesseur puis vice-président (1904) du Syndicat de la presse mutualiste française créé en 1902 à Marseille.
Enfin, la mutualité héraultaise se distingue par ses œuvres sociales. Au début du XXe siècle ont été fondés la pharmacie spéciale des Sociétés de secours mutuels de la ville de Montpellier puis l’Institut mutualiste, siège de l’union. En 1909, de Casamajor contribue ensuite à la création de la Mutualité maternelle de Montpellier, approuvée sous le n°570. Il est également fondateur et secrétaire général du comité départemental de l’Alliance d’hygiène sociale. Plus amplement, en 1909, il projette avec C. Warnery la création d’une clinique chirurgicale mutualiste, dont il devient l’un des vice-présidents. « Œuvre unique dans les annales de la mutualité », cette clinique chirurgicale départementale se définit alors comme la première clinique mutualiste fondée en France. Inaugurée à Montpellier en 1910, reconnue d’utilité publique en 1913, celle-ci apparaît comme un modèle pour les établissements futurs, ensuite créés à Nantes, Bordeaux, Lyon, Marseille, Nîmes, Saint Etienne, Perpignan ou Béziers.
Durant la première Guerre mondiale, outre ses activités à la Commission régionale des communications, de Casamajor s’occupe enfin de l’installation d’hôpitaux complémentaires, d’un ouvroir venant en aide aux blessés, d’une société d’orphelins de guerre, de l’office des pupilles de la nation. Résultant des difficultés sanitaires consécutives à la guerre, son action se prolonge en 1931 par la création à Montpellier d’une seconde clinique mutualiste dénommée clinique Beausoleil, dont il devient également administrateur.
Une dimension nationale
Dans l’intervalle, de Casamajor participe aux principaux congrès nationaux et internationaux de la Mutualité. Délégué en 1900 au congrès international qui se tient à Paris, il est nommé le 10 novembre 1902 administrateur lors de l’assemblée générale constitutive de la Fédération Nationale de la Mutualité Française. Délégué aux Ve, VIe et VIIe congrès nationaux, il est rapporteur général du VIIIe congrès tenu à Nantes en 1904 et en 1909, l’un des vice-présidents du Xe congrès réuni à Nancy.
En dehors d’articles et de notes techniques sur les chemins de fer et les irrigations, il publie ainsi les comptes-rendus officiels des congrès mutualistes de 1900, de 1905 et de 1913, de même que plusieurs plaquettes sur les œuvres sociales françaises et étrangères. Le 31 mars 1913, il organise en effet avec Charles Warnery le XIe Congrès National de la Mutualité, premier congrès national bénéficiant de la visite d’un président de la République, celle de Raymond Poincaré, président nouvellement élu. Consacrant le rôle de la mutualité dans l’histoire sociale de la nation, ce congrès au « retentissement considérable » officialise la reconnaissance de la mutualité par la république radicale et son fondement théorique, le solidarisme défini par Léon Bourgeois.
Candidature au Conseil supérieur de la Mutualité, 1906.
Au lendemain de la première Guerre mondiale, de Casamajor prend encore une place importante aux congrès nationaux d’Angers en 1920, Lyon en 1923, Strasbourg en 1926, Lille en 1930. De 1906 à 1937, il est également élu membre du Conseil supérieur de la Mutualité, au titre des sociétés libres. Il y représente le VIe collège électoral comprenant les départements de l’Ariège, des Basses-Pyrénées, des Bouches-du-Rhône, du Cantal, du Gard, du Gers, de la Haute-Garonne, des Hautes-Pyrénées, de l’Hérault, des Landes, du Lot, de la Lozère, des Pyrénées-Orientales, du Tarn, du Tarn-et-Garonne, du Var, du Vaucluse, de la Corse et de l’Algérie.
En dernier lieu, au tournant des années 1930, son action se poursuit en faveur de la loi sur les assurances sociales obligatoires. « Propagandiste infatigable » malgré son âge, celui-ci visite « sans discontinuer » les communes héraultaises avec Charles Warnery et organise notamment des assemblées de propagande à Montpellier, Lodève, Béziers etc. Au sein de l’union départementale, la mise en application de la loi de 1930 donne lieu à la création de la caisse intitulée La Solidarité héraultaise (34-05) destinée aux salariés du commerce et de l’industrie, fonctionnant jusqu’à la création de la Sécurité Sociale et à la fondation de L’Agricole mutualiste (n°797), destinée aux travailleurs agricoles.
Officier d’académie en 1890, officier de l’instruction publique en 1900, N. de Casamajor a été décoré de la médaille d’or de la mutualité en 1902, promu chevalier Légion d’honneur en 1903, chevalier du mérite agricole en 1912, commandeur du mérite social, officier de la Légion d’honneur en 1921. Cet important mutualiste, acteur du mouvement méridional, devenu président d’honneur de l’union des mutuelles de l’Hérault en 1936, décède à Montpellier le 12 décembre 1938, à l’âge de 82 ans.
De son mariage avec Marie Pujol ont survécu quatre enfants : en 1905, Gabriel de Casamajor prépare Polytechnique, Henri à Toulon « partage le sort des marins », Jules vit en Afrique « où il est heureux » et Louis « a voulu aller voir par lui-même l’effet des expériences sociales qui se font en Australie ». Ainsi se prolonge sous d’autres cieux, l’idée d’un mutualisme agissant, inspiré par une personnalité consensuelle dont le dévouement au « bien public » fut en son temps reconnu par ses pairs. Au-delà de ce destin personnel s’illustre également le réformisme de la mutualité languedocienne, à l’origine de son essor contemporain.
E. PRACA
25-8-2010
Pour en savoir plus :
E. PRACA, Histoire de la Mutualité dans l’Hérault, Toulouse, Privat, 2003, 128 p.
Notes :
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