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Bijou et innovation
Militante et passionnée du bijou et de ses créateurs, mon approche tente de mêler les sciences humaines et les sciences techniques pour développer les outils d'une analyse critique du bijou « contemporain ». L'objet bijou est en effet au carrefour de multiples univers, savoir-faire et savoir-penser. Il rassemble les préoccupations des personnes en charge de l'exploitation des matériaux (métaux, pierres, perles...), de la recherche (pierres synthétiques, matériaux intelligents...) mais aussi de multiples approches culturelles - en tant qu'il incarne de nombreuses « intentions » qu'elles soient affectives, religieuses, identitaires et esthétiques (design, conception du paraître...). Par ailleurs, son usage et tout particulièrement sa dation sont souvent pleinement marqués par des rituels : mariage, naissance.... Ses créateurs et artisans doivent interagir avec toutes ces données, et se poser de vraies questions sur le sens de leur activité et de leurs pièces, mais ils ont peu d'outils pour approfondir leurs questionnements -les publications traitent du bijou ethnique ou du bijou « inaccessible », très peu du bijou du quotidien-. Et leurs clients, vous et moi, sont souvent peu informés du métier qu'ils pratiquent et de ses multiples enjeux, contraintes et possibles. Depuis une douzaine d'années, je m'efforce de proposer une vulgarisation de la culture spécifique de cet objet via conférences, formations professionnelles, montage d'expositions et publications, afin de faire découvrir les richesses que cette culture recèle. J'ai choisi dans cette conférence d'aborder la question du bijou par le biais de l'innovation. Le mot « innovation » semble aujourd'hui très « à la mode », alors qu'il représente en fait une constante du cheminement humain. Aborder cette notion dans le bijou, objet dont l'image et la représentation sont souvent liés à des notions de tradition, de transmission, de patrimoine, c'est comprendre combien sont relatifs ces points de vue. Si innover c'est « introduire quelque chose de nouveau dans un système établi », cette explicitation permet de comprendre combien la rupture et l'ouverture face à une tradition bien maitrisée sont aussi des moteurs fondamentaux qui aident à dessiner un avenir à des métiers et des pratiques. Il va donc falloir tenter de brosser à grands traits quelques-unes des grandes étapes de cette histoire. Inventer le geste de parure Le geste de parure n'est, en effet, pas un geste aussi évident qu’il y paraît. Il n'a, à priori, aucune fonction vitale. Selon nos connaissances actuelles, la naissance de ce geste remonte à 75 000 ans. Les premiers objets et gestes de parure sont apparus en même temps que les premières pratiques graphiques et bien avant toutes les autres formes artistiques - peintures pariétales, objets sculptés et gravés. Ce constat amène à les considérer comme appartenant au monde de l’idée et de la pensée. Pour les préhistoriens, la parure représente « une étape décisive dans l’aventure culturelle de l’humanité. Elle est la première manifestation de la pensée symbolique ; l’homme prend conscience de son propre corps et de sa relation aux autres et au monde extérieur ».
Les plus anciens bijoux connus (75 000 ans) ont été découverts en 2004 dans la grotte de Blombos (Afrique du Sud). Il s'agit de 41 fossiles de gastéropodes. Ils ont bouleversé la perception du développement humain car, jusqu'à leur découverte, on considérait que la révolution symbolique avait 40 000 ans et s'était produite sur le continent européen. Ces coquillages présentent des perforations et des facettes d’usure dues à leur port. La mesure de plusieurs milliers de coquillages, modernes et archéologiques, met en évidence le fait que leurs fabricants n’ont utilisé que des grands coquillages, relativement difficiles à trouver. Découverts par lots de 2 à 17 exemplaires, présentant des dimensions, des perforations et des usures semblables, ils correspondent vraisemblablement à des éléments de parure perdus ou abandonnés ensemble. Cette découverte indique que les hommes d’Afrique australe possédaient, il y a 75 000 ans, une pensée symbolique, et l'existence d'un langage et de capacités cognitives proches des nôtres semble être un prérequis essentiel pour expliquer cette production1. Les premières parures sont ce que l'on nomme des parures collectées, c'est à dire que, perforations ou rainurages mis à part, le matériau est pris tel quel dans la nature. Et bien entendu, de nombreuses formes naturelles sont adaptées (coquillages, dents...), sans besoin d’une réelle intervention, hormis celle d'une ligature ou d'un sertissage dans le cuir. Les matières végétales ou animales utilisées pour la ligature n’ayant pas ou rarement passé l’épreuve du temps, il est difficile de reconnaître un objet de parure d'un déchet alimentaire, ou encore d'imaginer les modalités de son port. On peut aussi aisément se convaincre de l'usage qui pouvait être fait des végétaux, plumes, cuir, écorces ou ocres colorés, même s’il n'en reste aucune trace. Inventer l'objet de parure
La deuxième étape notoire est l'apparition de ce que l'on appelle la parure inventée. Ses matériaux privilégiés sont l’os, l’ivoire, les bois de cervidé et quelques minéraux tendres (lignite, calcaire..). L'élément de base est travaillé pour créer des formes plus ou moins recherchées. Si certains de ces objets sont à peine mis en forme, la plupart sont néanmoins de facture soignée et leur fabrication implique l'existence de multiples savoir-faire techniques : découpage, sciage, polissage, perforation, et gravure. Ces parures permettent de suivre les développements cognitifs des groupes les ayant conçues. Il s’agit le plus généralement de pendeloques, c’est à dire d’objets destinés à être suspendus directement sur le corps ou installés sur le vêtement2. Leur diversité, leur facture et leur ornementation par gravure - purement graphique ou bien figurative - évoluent au fil des périodes. Elles arriveront à des niveaux d’excellence au Magdalénien. Inventer la tradition L'étude approfondie des fonds de collections permet de constater l'apparition dans un même groupe ou une même région, d'une répétition récurrente de formes particulières. C'est la naissance de ce que l'on appellerait aujourd'hui les régionalismes. Sont-ils liés à un premier geste d'artisan qui sera ensuite repris par ses « élèves » ou ses admirateurs ? Ou répondent-ils à une conscience ou une croyance spécifique du groupe qui les arbore ? Ce phénomène reste une énigme pour les temps préhistoriques, mais on l'a vu se reproduire aux XVIIIe et XIXe siècles en France lorsque, la province s'enrichissant, les bijoutiers ont quitté Paris pour s'établir en région et y inventer les bijoux aujourd'hui nommés régionaux.
Pour de nombreux préhistoriens, il semble que c'est dans le contexte de la confrontation entre deux groupes : Homo neenderthalensis et Homo sapiens que se situe l’essor de la parure et son vaste développement. Homo sapiens arrive d’Afrique en Europe aux environs de – 40 000 ans, Homo néanderthalensis est issu d'Europe et disparaît vers – 28 000 ans. Dans leurs territoires communs se développe une multiplicité de formes de bijoux. Les recherches sur les peuples chasseurs-cueilleurs modernes, où la parure a pour fonction une identification de l’individu à l’intérieur d’un groupe, et une identification d’un groupe par rapport à un autre, font penser qu’il en allait de même au paléolithique. Inventer l'imitation
Autre phénomène intéressant à constater (et ce dès – 35000 ans) : la première industrie du faux. Elle se décline de deux manières : l'usage de fossiles de coquillages pour remplacer ceux qui font défaut parce que peu présents dans la région où le groupe est installé – à remarquer : ces fossiles sont toujours choisis pour leur grande proximité avec l'animal naturel et non comme matière en soi ; l'imitation d'éléments avec des pierres tendres ou de l'os, particulièrement vraie pour la crache de cerf (canine atrophiée). De plus, on constate que les parures sont souvent composées de pièces « récupérées », c'est à dire que dans un même collier par exemple, on trouvera des perles anciennes et d'autres totalement neuves, ce qui peut orienter l'analyse vers un objet soit « sacralisé » soit « précieux » dont on va conserver et recycler au maximum les éléments. Autre grande invention, surtout du Magdalénien : la perle. Elle génère des compositions multiformes, s'ornemente de gravures, utilise de multiples matériaux (dont rapidement la céramique dès la mise au point de cette dernière) et se décline dans de multiples modes d'enfilages et de compositions. Inventer le métal
L'apparition du métal oriente très rapidement le bijou vers ce matériau de prédilection. Les premières traces d'une industrie métallurgique remontent à 4500 ans. Au départ, on découvre le cuivre qui se prête peu au travail car il s'oxyde fortement et est très mou. Il est alors utilisé sous forme de bronze (alliage de cuivre et de divers autres matériaux) qui s'altère beaucoup moins. Assez pâteux, il peut être coulé grâce à de multiples techniques : dans le sable, dans du bois sculpté, puis via les techniques de « cire perdue ». Il atteint son plein essor environ 2 000 ans avant Jésus-Christ pour l'Europe occidentale, au cours de la période nommée « âge du bronze », qui sera suivie de l'âge du fer environ 1000 ans plus tard. Le fer pour sa part peut se travailler avec de nouvelles techniques, il est battu, embouti. Dans le même temps d'autres cultures (Egypte, Mycène) s'emparent du travail de l'or. Inventer l'art du métal
Comment expliquer le fait que le métal soit devenu un matériau de prédilection du bijou ? Le métal permet d'assurer à l'objet une durée de vie bien plus importante que tous les matériaux utilisés jusqu’alors. De plus, sa structure cristalline est spécifique, composée de formes simples pouvant se modifier et se combiner à l'envi. En chauffant le métal, on en dilate la structure, rendant le matériau souple ; en le martelant on le durcit à nouveau et on peut passer d'un état à un autre quasiment sans perte de matière et autant de fois qu'on le souhaite ou presque, ce qui n'est le cas d'aucun autre matériau. De plus, les divers métaux peuvent aisément s'assembler, permettant la composition d'alliages, mais aussi la mise en place de soudures. Même si, à l’origine, ces découvertes étaient purement empiriques, aucune de ces propriétés n'ont pu laisser indifférents les artisans. En même temps que le fer vont apparaître d'autres métaux -or, argent …- et se mettre en place de nombreux modes d'exploitation de ces minéraux. Globalement, la base des techniques du métal était fixée il y a 2000 ans ; depuis, les apports ont concerné plutôt l'approvisionnement en matière première -mines et techniques d'extraction- ainsi que des améliorations liées aux avancées technologiques. Capter les pierres Leur couleur, leur rareté, leur lumière particulière les ont parées de mille attraits. Elles sont devenues des symboles de puissance politique ou spirituelle, des talismans contre le mal, se sont vues attribuer des pouvoirs surnaturels et engendré de nombreuses légendes, fait se développer une abondante littérature et servi à de multiples usages (thérapeutiques, symboliques …). L’Égypte ancienne ornait déjà ses parures et objets de pierres, telles la turquoise, le jaspe ou le quartz. Elle a transmis cette fascination au monde antique et à Rome, et depuis lors, les pierres sont une entité quasi incontournable de la bijouterie.
Il faut distinguer parmi les pierres plusieurs catégories. Les unes sont les pierres précieuses -le rubis, le saphir, l’émeraude et le diamant- : en France, cette dénomination n'est officielle que depuis le décret du 26 novembre 1968. Les autres sont les pierres fines, dont quelques dizaines seulement ont une dureté suffisante pour être montées sur bijoux : le quartz, les grenats, les topazes, l’opale, la turquoise, les jades…. Enfin, il existe les apparentés comme l’ambre, le corail, la perle. En dernier lieu, ont été créées les pierres de synthèse, fabriquées par l’homme. Elles peuvent être des pierres d’imitation : aspect ou couleur qui imitent les pierres naturelles mais n’en ont pas les propriétés physiques et optiques, des synthétiques naturelles : même composition chimique que les pierres naturelles ou encore des synthétiques artificielles : qui n’ont pas d’équivalent naturel. Les tailler et les percer Les premières pratiques de taille se définissent par le terme de glyptique, c'est à dire l'art de sculpter en relief (camées inventées par les Romains) ou de graver en creux (intaille) les pierres fines, notamment les agates, les cornalines, les améthystes et très rarement les pierres précieuses. En ce qui concerne la taille à proprement parler, c'est-à-dire la mise en forme totale de la pierre, il a fallu un certain temps pour acquérir l'outillage et la technologie le permettant. Jusqu'au XIIème siècle, les pierres étaient seulement polies selon leurs formes naturelles, puis on a commencé à tailler des diamants et pierres en formes géométriques. L'Italie, puis Paris ont vu apparaître les premières corporations d’orfèvres, cristalliers et pierriers. Initialement et jusqu'au début du XXe siècle, les pierres sont taillées pour en obtenir le plus grand poids, puis on s'intéresse à créer des techniques permettant d'obtenir le meilleur éclat et donc de valoriser les pierres tout en conservant le plus grand poids. La taille des pierres de couleur, selon la nature de la pierre et le résultat que le tailleur cherche à obtenir, se fait en plusieurs étapes : les pierres sont coupées, puis réduites à une forme de base avec des meules diamantées. Elles sont ensuite abrasées pour éliminer les crevasses de surface. Puis vient le facettage (polissage en facettes), étape la plus complexe, qui donne la forme finale et dont dépendra la qualité terminale de la pierre. Le polissage en tonneau (polisseur ou à vibrations) ou le culbutage, dans un baril rempli d’eau et de graviers, permet d'arrondir les pierres pour un usage moins classique. Le perçage pour créer des perles de divers diamètre se fait avec une baguette rotative munie d’une pointe en diamant et aujourd'hui au laser. Actuellement, il faut distinguer deux métiers : l’un est celui de lapidaire. Le lapidaire taille et polit les pierres de couleur pour en rehausser la lumière et la couleur, en éliminer les défauts, et donc enfin, pour en faire ressortir toute la brillance. Souvent, il se spécialise dans une pierre spécifique -particulièrement en ce qui concerne les pierres précieuses.
L’autre est celui de diamantaire, qui ne taille que le diamant, minéral le plus dur, qui ne peut donc être taillé que par lui-même et nécessite une force motrice très puissante. Les phases de taille font perdre au diamant entre 50 et 60 % de son poids initial. C'est ce dernier qui a été taillé le plus tard, en raison de son extrême dureté. Il ne peut être usiné que par un autre diamant, les premiers essais datant de 1400. La technique la plus connue, valorisant au mieux la beauté du diamant et étant de ce fait la plus utilisée, est la taille « brillant » qui fait apparaître 58 facettes -57 si l'on ne tient pas compte de la collette- : 33 sur la couronne et 24 sur la culasse, régulières et de tailles définies précisément, à la surface du diamant. La mise au point date de 1939. Les apprentis tailleurs sont aujourd'hui très rares, la taille étant de plus en plus réalisée par des lasers et à l'aide de systèmes informatiques. La rupture contemporaine
Dans le secteur de la taille des gemmes, la rupture contemporaine est incarnée par Bernd Munsteiner. Né en 1943, fils de lapidaire, il a été un pionnier. Formé à l'école de bijouterie de Pforzheim (Allemagne), il a étudié la sculpture métal, la peinture et le design bijou ainsi que la découpe et le polissage des gemmes. Découvrant que la taille n'avait quasiment pas évolué depuis la Renaissance, il a décidé de faire une rupture. Il s'est intéressé à révéler le gemme pour ses qualités propres (imperfections, inclusions ..) plutôt que pour ce que l'on souhaitait obtenir de lui. Il taille souvent par l'arrière. Si son travail a d'abord été accueilli par un grand scepticisme dans le milieu de la taille, il a commencé à vendre en 1967, mais son impact dans le grand public date de moins de 15 ans. Inventer la couleur
Pour pallier la rareté des pierres et leur prix prohibitif, on a cherché à mettre de la couleur dans le bijou. Cette démarche a donné naissance à l'émail, procédé qui, globalement, consiste à effectuer un dépôt de verre sur du métal. La plus grande époque de l'émaillage fut incontestablement le Moyen Age, qui a su porter cet art à un très haut niveau. Il existe deux sortes d'émaillage : le champlevé et le cloisonné. La transparence du dépôt émaillé permet également de travailler la surface métallique de support, les martelages ou abrasions étant mis en valeur par l'émail. Les problèmes posés par l'émaillage sont toutefois multiples. Tout d'abord son coût (travail lent et complexe, il est donc cher), ensuite sa fragilité (un choc va aisément le casser) et enfin le fait que les multiples cuissons ont tendance à fragiliser le métal de support. A compter du XIXe siècle, on a tenté de découvrir d'autres moyens de créer une coloration, parmi lesquels la fabrication d’émaux synthétiques, réalisés à partir de résines. Ayant une moins bonne résistance temporelle et un moins bon éclat, ils sont en général réservés à la bijouterie de fantaisie industrielle. Les traitements électrolytiques permettent pour leur part un fin dépôt métallique coloré par le biais d'un courant électrique dans un bain aqueux chargé des particules du matériau à déposer. Ils posent souvent un problème de fragilité, et sont peu résistants à l'usure. Récemment, une nouvelle technique a été mise au point : le PVD (Physical Vaporisation deposition). Elle se pratique à basse température -moins de 70°-. Dans le principe, une cible de métal, or, titane ou autre, est bombardée par des électrons qui vont réduire sa surface en minuscules particules, qui viendront ensuite se déposer sur la surface à traiter. L'épaisseur du dépôt crée la coloration attendue. Ce phénomène ayant lieu sous atmosphère spécifique, le dépôt se transforme en céramique métallique, ce qui le rend quasiment inaltérable en créant une parfaite fusion avec le support. Actuellement, les précurseurs de ce procédé travaillent à la possibilité d’obtenir une coloration dans la masse.3 Inventer un métier
Là encore, c'est essentiellement au Moyen Age que ce sont mises en place les premières « normes » relatives au travail des orfèvres. Placé sous le patronage de Saint Eloi, orfèvre du roi Dagobert, les orfèvres sont la seule guilde ayant droit de travail le dimanche, ce qui souligne leur lien spécifique avec le pouvoir, et tout particulièrement le pouvoir religieux. Ils doivent travailler devant une vitrine ouverte sur la rue, au vu et au su de tous, ce qui est un gage de leur honnêteté (pratique qui perdure encore). Cette guilde va mettre au point de nombreux codes de métier : les poinçons de garantie qui garantissent la qualité du métal et les poinçons de maître qui indiquent qui est le bijoutier qui a réalisé la pièce. Sont ensuite créées des normes spécifiques, modifiées et améliorées au fil du temps. On peut citer le carat, qui pour les gemmes est une indication de poids -un carat de pierre est égal à 0,2g- et pour l'or correspond à un degré de pureté de l'or -un or 24 carat est un or pur, un or 18 carat est un or dont 18/24ème sont composés d'or et 6/24ème d'un autre métal-. Encore aujourd'hui, le métier de bijoutier est soumis à de nombreux contrôles. Les métaux précieux achetés doivent en permanence pouvoir être présentés à la demande de la police (un livre de police doit indiquer leur localisation – pièces vendues, pièces en dépôts et stocks doivent être clairement indiqués-. De plus, les services des douanes contrôlent régulièrement la qualité des métaux utilisés et leur conformité avec l’annonce faite au public. En France, la vente des métaux précieux est un monopole d'Etat, qui est sous-traité à quelques rares firmes. Actuellement, la communauté internationale travaille à un classement international des pierres qui permettait de garantir leur qualité et leur provenance, et protégerait les clients. Innover pour se fournir en matière première L'être humain tend à mettre l’environnement à son seul service, et ce dans tous les domaines, celui de la parure en est un. Un exemple l’illustre : celui de la perle. Le perle est produite par divers mollusques de mer ou d'eau douce. Elle est le résultat naturel d'un phénomène de défense contre l'agression d'un corps étranger. Le corps étranger, qui forme le noyau de la perle, est enrobé de couches de nacre, un composé d'aragonite et de substance organique -d'où son nom de biocristal-. Il s'agit souvent d'une particule alimentaire ou d'un petit animal que le mollusque n'a pas pu évacuer. Ce processus n'a été compris qu'à partir du XVIe siècle. La plus ancienne perle connue date de 5 000 ans et a été découverte dans une tombe princière japonaise. La pêche à la perle est attestée par les navigateurs dés le IVème siècle avant J.-C., et dès cette époque ce matériau figure à la base d'un commerce florissant. Durant des siècles, la récolte s'est faite de la même manière : la plongée en apnée entre 20 et 40m de fond. Les plongeurs, munis d'un crochet et d'un panier remontaient entre 15 et 40 huitres par plongée, et descendaient huit à dix fois par jour. Les huitres étaient ouvertes en surface et parfois offraient une perle, plus ou moins grosse, plus ou moins sphérique. Pour pallier l'aléatoire de cette pêche, l'homme a longtemps rêvé de maîtriser le processus naturel de la formation perlière, et les premiers essais eurent lieu en Chine au XIIIème siècle. Le succès fut long à venir : il s'agissait d'introduire des demi-sphères ou des petites statuettes de bouddha dans un mollusque, sans le tuer, et espérer qu'elles se recouvrent de nacre. Le procédé s'est peu à peu amélioré jusqu’à connaître toujours une grande activité.
La première perle de culture sphérique fut obtenue par le naturaliste suédois Carl Von Linné vers 1761. Inspiré par la technique chinoise, il introduisit un fin anneau d'argent dans une moule de rivière par un trou percé dans la coquille, mais ce procédé ne fut jamais exploité car la production était lente et aléatoire. C'est grâce aux découvertes scientifiques que le Japonais Tatsuhei Mise initia en 1904 la greffe moderne, telle qu'on la pratique aujourd'hui. Le début de la production à grande échelle date de 1920. Au départ, les perles de culture furent boudées par les joailliers, mais aujourd'hui ce sont quasiment les seules utilisées, les perles fines étant très rares et donc très chères. Les procédés de la greffe sont les suivantes : les huitres « porteuses » plongées dans un bain d'eau tiède s'entrouvrent ; le greffeur introduit alors le greffon qui constituera le noyau de la perle. Ce greffon est issu du manteau d'une huitre « donneuse ». L'huitre greffée est remise dans son milieu habituel, quoique aménagé : après 30 ou 40 jours commence la formation de la perle. Sur 1000 huitres, seules 700 garderont leur greffon et finalement, ce ne sont que 500 perles qui seront récoltées ; la récolte a lieu environ deux ans après la greffe. Si l'huitre porteuse est en bonne santé, elle est à nouveau greffée et en général, la seconde perle est plus grosse. Ensuite, les perles sont triées, classées par calibre puis par couleur. Les exploitations sont très surveillées car les huitres sont extrêmement sensibles à la pollution et au stress, qui influent sur la qualité de leurs perles4. Cet exemple indique bien comment une recherche appliquée est en permanence à l'œuvre pour faire évoluer l'approvisionnement et la qualité des matériaux. Inventer une symbolique
Le bijou est un langage symbolique que chacun va décrypter, de manière consciente ou non. Et chaque culture, chaque groupe, chaque époque va s'inventer des symboliques. Ainsi, est-ce un hasard si durant la préhistoire les dents utilisées pour la parure sont surtout des canines lorsqu'elles proviennent de carnivores et surtout des incisives lorsqu'elles proviennent d'herbivores ? Pour leurs couronnes mortuaires, les Scythes ont quant à eux affectionné la représentation des arbres -symboles du lien entre le monde souterrain et le monde terrestre) et des cerfs (conducteurs des âmes vers l'au-delà-. Les Romains ont inventé la bulla aurea, pendentif d'or réservé aux garçons des familles nobles, qui les intronisait comme fils de leur père, les désignant et les protégeant dans leur vie quotidienne ; plus près de nous, l'alliance, le trèfle, la tête de mort ou la croix déclinent chaque jour leur langage symbolique. Inventer des fonctions
En effet, le bijou a parfois eu des fonctions spécifiques, qui ne furent pas seulement décoratives. Ainsi en est-il des Bagues d'Aie, petits anneaux de verre -d'où leur nom dû au petit cri arraché à leur porteur quand elles se brisaient- inventées en Provence pour célébrer les alliances éphémères qui se liaient à l'occasion de la foire de Beaucaire. Les puciers, inventés au Moyen Age, permettaient de suspendre à la ceinture une fourrure délicatement sertie dans une tête d'or et de gemmes. Les poils de la fourrure attiraient loin du corps ainsi orné, les divers insectes pullulant dans un monde sans bombe insecticide. De nos jours encore, boutons de manchettes ou croix servant de clés USB, allient fonctions décoratives et utilitaires. Inventer une esthétique Là encore, chaque culture, chaque groupe compose une esthétique. Des parties du corps vont être privilégiés pour le bijou, on ornementera plutôt les hommes ou plutôt les femmes, et le bijou ou l'ornement vont devenir un discours : sur le corps tel qu'il est perçu ou vécu dans ce groupe ; sur la fonction ou le statut du porteur. Langage non verbal, il indique toujours qui nous sommes et à qui nous parlons. On peut même réellement le considérer comme une technique corporelle, au sens où Marcel Mauss la définissait.
Et puis bien entendu, ont été inventés des modes de production (de l'artisan solitaire qui assure la conception et la réalisation complète d'objets uniques ou en toutes petites séries, à la production industrielle dans des entreprises comptant plusieurs centaines d'ouvriers). Depuis une quinzaine d'années, grâce à la CAO (conception assistée par ordinateur) ont également été mises au point de nouvelles techniques de conception, permettant de concevoir des bijoux à partir d’un clavier d'ordinateur5. Bref, l'histoire du bijou est une histoire en marche et sans doute demain engendrera-t-elle de nouvelles formes, de nouvelles directions, de nouvelles innovations. Monique Manoha*
* Texte de la conférence donnée au Musée des monnaies et médailles Joseph Puig de Perpignan le 14 Mars 2009, sous le titre “Histoire et évolution technique du Bijou”. 1Eléments extraits des diverses publications de Francesco d'Errico et Marian Van Harren, les deux chercheurs de l'université de Toulouse ayant publié cette découverte.
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